Magazine Moyen-Orient

La crise électrique du Liban : une lecture géographique

Le Centre libanais pour la conservation de l’énergie (CLCE) est le « bras armé » du ministère de l’Énergie et de l’Eau pour le développement du renouvelable. Il a permis la réalisation de divers projets pilotes, dont l’iconique « Beirut River Solar Snake », à cheval sur le fleuve de Beyrouth. Malgré un cadre législatif lacunaire, il avait réussi à organiser des appels d’offres pour trois centrales éoliennes prévues dans la région montagneuse et ventée de l’Akkar (226 MW). Les entreprises sélectionnées cherchent des financements, mais le contexte institutionnel et économique reste incertain. Un appel d’offres pour 12 centrales solaires est en cours d’examen (180 MW), avec une répartition dans les différentes régions du Liban. La plaine de la Bekaa, ensoleillée, peu dense et où l’État dispose de nombreux terrains, semble propice à ce type d’installations. D’autres projets existent (total envisagé en 2026 : 1 000 MW). Tous sont retardés à cause de la crise politique et économique et l’absence de réformes.

L’action du CLCE a aussi contribué au décollage des chauffe-eau solaires, qui équipent 9 % des ménages, notamment dans les régions rurales où domine l’habitat individuel, ainsi qu’à la production décentralisée d’électricité avec des panneaux photovoltaïques. De 2010 à 2020, la capacité installée grâce à des prêts subventionnés par la Banque centrale a atteint 100 MW. Les secteurs industriel et tertiaire étaient les principaux acquéreurs de ces dispositifs permettant de substantielles économies sur les factures de générateurs de secours, notamment dans la région de Zahleh ainsi que dans le centre du pays (de Jbeil à Saïda). Depuis 2021 et l’incapacité des générateurs à assurer leur rôle traditionnel de sauvegarde en raison des ruptures dans l’importation du diesel et de l’explosion de ses prix, la demande pour les dispositifs hybrides couplant panneaux solaires et batteries connaît une hausse phénoménale. Elle a atteint environ 100 MW supplémentaires en 2021, et 250 MW sont attendus en 2022. La quête de sécurité énergétique constitue le ressort essentiel de ces investissements que seuls des entreprises et les ménages les plus aisés peuvent se permettre. Il est probable que ces nouveaux équipements profiteront davantage aux zones urbaines centrales, ce qui creusera les écarts sociaux et territoriaux entre le centre et les périphéries.

La dimension géographique rend compte des enjeux de la crise électrique libanaise de manière originale. L’effondrement de ce secteur est à la fois un symbole et une composante essentielle du drame libanais. De la localisation des unités de production aux passe-droits dans l’accès à l’électricité, la fourniture du courant révèle la persistance des logiques politico-confessionnelles. Néanmoins, d’autres logiques parfois négligées sont également fondamentales, notamment les différences de développement entre centre et périphéries, ainsi que les inégalités redistributives entre classes sociales en raison des mécanismes tarifaires. L’électricité libanaise est l’otage de jeux géopolitiques régionaux qui illustrent la dépendance de ce petit pays non seulement sur le plan des infrastructures de transport énergétiques, mais aussi sur celui du financement.

Faute de solutions politiques et institutionnelles, la crise électrique risque de durer et d’encourager les habitants les moins touchés par l’aggravation de la situation à rechercher dans les énergies renouvelables des solutions individuelles (ou microlocales) de protection que l’État en décomposition est incapable d’assurer.

Légende de la photo en première page : Panneaux solaires installés dans une zone rurale du Liban. © Shutterstock/Superstar

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°56, « Liban : un État en voie de disparition ? », Octobre-Décembre 2022.
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