Foch a une approche des principes de la guerre synthétique : trois seulement là où d’autres ont pu dépasser les 50. Pourquoi cela ?
Martin Motte. Sur ce sujet, Foch reprend une tendance fondamentale de la pensée militaire française : le maréchal Marmont écrivait déjà en 1845 que les principes de la guerre sont « peu nombreux ». On peut sans doute y voir un héritage de Descartes, qui semble avoir beaucoup influencé Foch. Pour ce philosophe, « le secret de la méthode consiste à chercher ce qu’il y a de plus absolu », de sorte qu’il faut s’efforcer de ramener les cas particuliers à « un seul principe général ». En effet, qui comprend à fond le principe général comprend du même coup les cas particuliers qui en dérivent, alors que la réciproque n’est pas nécessairement vraie.
À cette approche synthétique de la stratégie, les Anglo – Saxons préfèrent une approche analytique conduisant à multiplier les principes : par exemple, les principes américains d’objectif, d’unité de commandement, d’offensive, de masse et de manœuvre sont des déclinaisons particulières du principe d’économie des forces théorisé par Foch, puisque ce dernier désigne l’articulation optimale des forces dans l’espace et dans le temps pour faire masse sur l’objectif, au moyen d’une manœuvre offensive dont la coordination suppose l’unité de commandement.
Les deux méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients. L’empirisme anglo – saxon tend à rapprocher les principes de simples procédés d’action, ce qui les rend plus immédiatement intelligibles et applicables, mais risque de fractionner l’art de la guerre en rubriques indépendantes et ainsi de faire perdre de vue sa cohérence d’ensemble. Inversement, le conceptualisme français maintient cette cohérence, mais peut conduire les intelligences superficielles à négliger la spécificité des cas particuliers.
Foch, cependant, ne tombe pas dans ce dernier travers. En effet, son tour d’esprit conceptuel se double d’un robuste sens pratique : il insiste sur le fait qu’à la guerre, « le fait a le pas sur l’idée, l’action sur la parole, l’exécution sur la théorie » ; « il n’y a que des cas particuliers, rien ne s’y reproduit », de sorte que « les principes les plus certains demandent à être appliqués suivant les circonstances ». En somme, les principes sont des guides pour l’action, des aides à la décision, en aucun cas des recettes de cuisine ou des solutions clés en main, car dans chaque combat, poursuit Foch, il faut inventer un procédé « sur mesure ».
En incluant dans le principe d’économie des forces leur distribution dans l’espace et dans le temps, donc leurs mouvements avant et après les combats, Foch dépasse le seul engagement tactique : peut-on dire qu’il est un précurseur de l’art opératif ?
Un précurseur, non, car si cet art n’a reçu son nom qu’au XXe siècle, il a d’une certaine manière toujours existé. Lorsque Sun Bin, il y a 26 siècles, comparait la guerre au tir à l’arc, avec le souverain dans le rôle de l’archer, le général dans le rôle de l’arc et le combattant dans le rôle de la flèche, il désignait déjà ces trois aspects de la guerre que sont le but politique, la conduite des opérations et celle des combats. La sphère intermédiaire, celle de l’art opératif, articule les combats pour les faire converger vers le but politique. Sans direction opérative claire, les combats auraient tendance à dicter leur logique propre au général, qui diluerait ses forces en courant tous les lièvres à la fois au lieu de se demander où et quand il importe vraiment de se concentrer pour se battre. Ce qui doit déterminer le lieu et le moment de l’engagement majeur, c’est à la fois la situation sur le théâtre d’opérations et le but politique.