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Foch, au cœur de la pensée militaire française

Foch brille aussi par sa réflexion sur l’enseignement de la guerre. Vous-même enseignez la pensée stratégique. Foch vous apporte-t‑il quelque chose, méthodologiquement, en la matière ?

Oui, car le gros problème, pour un civil traitant de la guerre devant un auditoire militaire, c’est celui de la légitimité : comment parler de ce dont on n’a qu’une connaissance livresque à des gens qui en ont souvent une expérience directe ? Or c’était exactement la difficulté devant laquelle se trouvait Foch lorsqu’il enseignait à l’École de guerre, de 1895 à 1901. Servant dans l’artillerie métropolitaine, il n’était jamais allé sur les théâtres coloniaux, les seuls où l’armée française a opéré entre 1871 et 1914, et n’avait donc aucune expérience du combat. D’où son insistance sur le fait que l’expérience, certes souhaitable, n’est pas tout. Il en donnait pour preuve que l’armée prussienne de 1870, moins expérimentée que l’armée française, n’en a pas moins battu cette dernière, parce que sa préparation intellectuelle avait été bien meilleure. Cette préparation reposait sur une étude critique de l’histoire militaire afin d’en extraire les principes intemporels de la stratégie. C’est la pédagogie qu’a reprise Foch. Le fait qu’il ait par la suite réussi son passage du statut de stratégiste à celui de stratège en démontre la valeur. Il y a là un constat réconfortant pour le civil que je suis, mais aussi pour ceux des officiers qui n’ont pas encore été engagés au feu.

Votre introduction rend particulièrement bien compte du débat autour de Foch, que vous réhabilitez dans l’ensemble. Clausewitz, « Mahdi des masses » selon Liddell Hart, avait déjà fait les frais de lectures trop rapides. Peut-on considérer que produire des textes stratégiques expose à la caricature ou, plus largement, à la sursimplification ?

Oui, mais comme le constatait déjà Platon, c’est vrai de tout texte… avec ce facteur aggravant dans le cas de Foch qu’il s’est trouvé en situation de commandement dans l’une des guerres les plus meurtrières de l’histoire. Dès lors, on comprend que certains anciens combattants aient cherché à établir les responsabilités du carnage. C’est ce que fit entre autres le grand historien Marc Bloch, qui reprocha à Foch d’avoir voulu rejouer la stratégie napoléonienne sans tenir compte de la puissance de feu des armes modernes. Mais comme Bloch l’a reconnu lui – même, il n’a pas lu sérieusement les livres de Foch : il s’est contenté de les feuilleter, de sorte qu’il accumule erreur sur erreur à leur propos. Le cas de Liddell Hart est plus pendable, car il a étudié Foch de près et a plagié ses plus brillants raisonnements. En salissant sa mémoire, il a vraisemblablement cherché à dissuader ses lecteurs de mettre le nez dans les grands textes fochiens, de peur que son larcin ne soit découvert. Mais le plus confondant, c’est que de dignes universitaires puissent aujourd’hui encore prendre pour argent comptant les divagations de Bloch et les calomnies de Liddell Hart au lieu de lire par eux – mêmes les textes incriminés. Quant au grand public, il ne voit plus la Première Guerre mondiale qu’au prisme de ses horreurs et a donc oublié son enjeu. Or, cet enjeu, pour la France, n’était autre que la sauvegarde de sa souveraineté et de sa liberté. Elle en est largement redevable à l’action de Foch. C’est l’une des deux raisons qui m’ont poussé à rééditer ses écrits stratégiques, l’autre étant qu’ils restent de tout premier intérêt pour la formation des futurs chefs de guerre.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 14 septembre 2023.

Légende de la photo en première page : La statue équestre de Foch. Son œuvre conceptuelle mérite largement une relecture. (© Bill Perry/Shutterstock)

Article paru dans la revue DSI n°168, « Déluge d’AL-AQSA : surprise stratégique pour Israël », Novembre-Décembre 2023.
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