Créé en 1979 comme milice paramilitaire révolutionnaire, le Corps des Gardiens de la révolution islamique, connu sous les noms persans de Sepah ou pasdaran pour ses membres, est devenu l’un des principaux lieux de pouvoir du régime. En amont d’un système judiciaire impitoyable, il fournit les agents de la répression du mouvement de contestation qui parcourt l’Iran depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022. Assiste-t-on pour autant à une « militarisation du régime » au détriment des dirigeants religieux (1) ? La thèse est discutable, car il y a longtemps que les pasdaran ont investi l’ensemble du système.
Le Sepah est né de la fusion, en avril 1979, de plusieurs milices révolutionnaires ne répondant qu’aux ordres de l’ayatollah Rouhollah Khomeyni (1902-1989) dans sa conquête du pouvoir. Partout présents dans le pays, les pasdaran deviennent le bras armé chargé de la « sauvegarde du régime et de ses acquis ». En 1981, on leur adjoint l’Organisation pour la mobilisation des opprimés (Bassidj), alors destinée à encadrer les jeunes volontaires envoyés sur le front de la guerre contre l’Irak (1980-1988) (2). Après celle-ci, le Sepah lui délègue la surveillance des bonnes mœurs islamiques et une partie du maintien de l’ordre. Les bassidji sont eux aussi dans les quartiers, les entreprises ou les universités, sous l’uniforme ou non, rapidement mobilisables pour des opérations de répression.
Le Corps a aussi été créé pour doubler une armée régulière, l’Artesh, jugée peu fiable et chargée de la seule défense du territoire national. La militarisation du Sepah s’est faite dès 1979 dans la lutte contre les soulèvements séparatistes, particulièrement au Kurdistan, puis contre l’Irak. Il est ainsi devenu une véritable armée parallèle, au potentiel actuel d’environ 190 000 soldats, répartis entre forces terrestres, aériennes et maritimes. Depuis 1989, c’est le Sepah qui a la haute main sur le ministère de la Défense, y occupant des postes clés et contrôlant l’attribution des financements et des armements.
Une milice au service du régime
Les pasdaran ont sous leur responsabilité la sécurisation du détroit d’Ormuz, stratégique pour l’exportation des hydrocarbures. Pour compenser leur faiblesse face à la Ve flotte américaine basée à Bahreïn, ils y ont développé des tactiques de guerre asymétrique. De la production de missiles sol-mer et mer-mer, ils sont passés à des programmes d’armements stratégiques et d’affirmation de la puissance : missiles balistiques de courte, moyenne, puis longue portée ; drones ; dimension militaire du programme nucléaire. La Constitution charge également le Sepah de « répandre la jurisprudence de la loi de Dieu partout dans le monde » – donc d’« exporter » la révolution islamique. La création du Hezbollah au Liban en 1982 en sera le premier acte. Puis, au début des années 1990, est organisée la brigade Al-Qods, chargée des opérations extérieures idéologiques, militaires et terroristes clandestines, et dirigée pendant deux décennies par un stratège charismatique, Qassem Soleimani (1957-2020), tué à Bagdad par un drone américain en janvier 2020.
Au moins 2 millions de pasdaran, et autant de bassidji, ont connu la terrible expérience du front. Cette fraternité d’armes explique l’influence ultérieure de leurs réseaux de solidarités de « vétérans démobilisés » dans l’ensemble du corps social. Ils ont fourni au régime des cadres de tous niveaux. La « bataille de la reconstruction » d’après-guerre contre l’Irak leur a permis d’élever un véritable empire économique autour de la Khatam al-Anbiya, créée en 1990. Compagnie à capitaux publics, mais de statut privé, elle est directement contrôlée par les Gardiens. Avec plus de 800 entreprises et des dizaines de milliers de salariés, c’est une tentaculaire société d’ingénierie et de travaux publics, adjudicataire d’innombrables chantiers d’infrastructures. Elle est active dans le pétrole et le gaz, accédant ainsi à une partie de la rente. Sa comptabilité échappe au contrôle de l’État, mais elle est soumise à des sanctions des États-Unis, de l’Union européenne (UE) et des Nations unies.