Volatiles, incertains, complexes et ambigus, voici les caractéristiques qui peuvent qualifier des environnements dans lesquels évolue le combattant. Face à l’incertitude qui en résulte, ce dernier doit faire preuve, en un temps contraint, de capacités de décision et d’adaptation. Il apparaît dès lors nécessaire de se pencher sur la compréhension des mécanismes cérébraux qui l’animent afin d’en déduire des enseignements innovants pour l’entraînement de nos troupes. Tel fut l’objet de la journée d’étude « Neurosciences et monde militaire, aspects comportementaux » coorganisée par le CReC Saint-Cyr et l’IRBA qui s’est tenue à l’École militaire le 31 mai 2023.
Organe évolutif, décomposé en deux hémisphères, eux – mêmes subdivisés en cinq lobes, le cerveau contrôle l’ensemble du corps humain. Les neurosciences, qui visent à mieux appréhender les relations causales entre le fonctionnement du cerveau et les actions en situation, lui définissent comme fonctions principales l’anticipation, la détection et la reconnaissance.
Cerveau et comportement
En fonction des diverses informations que le cerveau perçoit, il générera des hypothèses quant aux réponses à produire, qui conditionneront les comportements individuels d’action ou de non – action. Un environnement contraignant influant sur l’état physiologique de l’organisme, y compris celui du cerveau, les prises de décision varieront d’un individu à l’autre pour les mêmes actions à mener.
Face au danger, sous le feu pour exemple, l’entraînement maintes fois répété permet au soldat de limiter le risque de sidération et de continuer d’être en mesure d’analyser et de prendre des décisions. Ce type d’entraînement appelé « drill » se définit comme « une série d’exercices physiques qui, par leur répétition, rend le combattant apte à exécuter sans hésitation, rapidement et sans faute de manœuvre, un mouvement complexe en situation stressante ». Le drill peut être individuel, collectif ou d’usage, afin de pouvoir réagir à l’ensemble du spectre des menaces.
Il a été ainsi montré scientifiquement que l’entraînement et la répétition de procédures et de protocoles, comme le MARCHE RYAN (1) utilisé dans la prise en charge des blessés de guerre, permet à des soignants, placés en condition d’hypoxie aiguë (exercice physique en haute montagne, sans acclimatation préalable), de prendre en charge de manière acceptable un blessé de guerre, et ce, malgré l’altération de leurs capacités cognitives (2).
En plus des contraintes VUCA (Volatility, Uncertainly, Complexity and Ambiguity) de l’environnement opérationnel, le militaire doit réaliser sa mission le plus souvent en condition de surcharge cognitive induite par la surabondance des données du fait de la numérisation de l’espace de bataille. Enfin, le soldat doit faire face et gérer ses émotions, allant de la plus agréable à la plus terrible. Combinées à un contexte périlleux, ses émotions peuvent engendrer des comportements désadaptés. Face à ce risque émotionnel, l’esprit de corps et l’importance de mener la mission apportent des soutiens, pas toujours conscientisés, qui vont permettre d’utiliser les émotions pour faire face plus efficacement à l’adversité.
Comment fonctionne le cerveau ?
Mieux comprendre les réactions du cerveau en situations critiques ouvre des perspectives pour développer des moyens d’améliorer la formation du soldat afin de lui permettre non seulement de mieux maîtriser ses comportements, mais aussi d’accroître ses performances cognitives. Lorsqu’il est question de menace, il convient d’emblée de la distinguer d’une autre notion qui lui est intimement liée : la peur. Si la première traduit une incohérence entre l’observé et l’attendu, produisant des réactions variées, par exemple une exploration curieuse lorsque la menace est lointaine ou une inhibition comportementale lorsqu’elle est proche, c’est seulement dans ce deuxième cas qu’intervient l’émotion de peur.
La peur active le premier des deux systèmes cognitifs définis par le psychologue et économiste Daniel Kahneman : le système 1 qui entraîne une réaction automatique et intuitive, au détriment du second, le système 2, qui est logique et rationnel. Ce système 1, s’il est utile à la survie par la rapidité de réponse qu’il permet, ne permet pas une analyse rationnelle de la situation menaçante qui reste, quant à elle, l’apanage du système 2, lent et logique (3). Or selon l’intensité de la menace, réelle ou ressentie et en dépit des drills menés et des automatismes acquis, il n’est pas rare qu’un soldat soit dépassé dans sa gestion de la peur, l’accès au système 2 devenant difficile, voire impossible. Ce constat est d’autant plus important que la peur est contagieuse au sein d’un groupe. La prise de conscience par l’individu de ses propres émotions doit permettre l’intervention du second système, celui de la réponse réfléchie.