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L’apport des neurosciences pour les militaires

Si la peur n’a pas sidéré l’individu, elle peut conduire à un effet tunnel ou « tunnelisation », réponse cognitive bien connue des opérationnels lorsqu’ils se concentrent sur une tâche à accomplir nécessitant une attention particulière sur un objectif. Cet effet se traduit par une occultation de la perception des informations extérieures de toutes natures (visuelle, auditive, etc.). En concentrant la recherche d’information sur un seul objet, l’effet tunnel ne permet pas de faire émerger des solutions nouvelles quand la situation le demande. L’auteur Roland Dorgelès raconte ainsi dans ses mémoires de la Grande Guerre : « Nous avancions droit devant nous, farouches, sans aucun cri… le corps et l’esprit étaient tendus vers un seul but : arriver au bois  ». Cet effet tunnel est en partie lié à la manière dont la source de stress active le cortex préfrontal (zone à l’avant du cerveau). Le maintien de la situation stressante conduit à une « persévération » qui se traduit par une incapacité décisionnelle, une répétition d’actions parasites et inappropriées, ou un excès de confiance dans une stratégie inadaptée. Nombre de chefs en situation opérationnelle pourraient rapporter ces moments où le cerveau, englué dans ses persévérations, ne répond pas à la demande de sortie du cadre pour trouver la réponse aux contraintes d’une situation critique.

Le 25 novembre 2019 dans la région de Ménaka au Mali, un abordage en vol entre deux hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT), un Tigre et un Cougar, cause la perte des deux appareils et le décès des 13 occupants. En raison notamment d’une « charge mentale accrue  », et d’une « focalisation de l’attention des membres d’équipage sur la zone d’action et sur les images des caméras  », le rapport du Bureau enquêtes accidents pour la sécurité de l’aéronautique d’État (BEA‑É) a conclu qu’« aucun membre d’équipage n’a pu être en mesure d’acquérir et de maintenir une vision globale de la situation aérienne conforme à la réalité, évolutive dans les trois dimensions  ». Autrement dit, « leurs consciences respectives de la situation étaient erronées (4) ».

Dans un contexte opérationnel, la pression induit donc ce mode de pensée dégradé, rapide et automatique, mais qui n’est pas toujours adapté à la complexité de l’environnement. La conséquence peut être un risque d’aveuglement aux signaux externes aboutissant à des décisions bornées, voire irrationnelles. La force du groupe trouve toute sa place face à ce risque : un contact physique avec un camarade à ses côtés, une tape dans le dos, peut suffire à « réveiller » l’individu dans un tel état.

La prise de décision est au cœur des opérations militaires. À partir de ses observations sur le terrain, le soldat se forge sa propre perception de la situation tactique. Or cette perception est influencée par ses émotions, avec pour conséquence, lorsque l’émotion n’est pas gérée, une décision potentiellement altérée. La connaissance de ses émotions par le soldat s’impose donc afin de mieux les maîtriser et ainsi assurer une prise de décision optimale dans l’action.

Vallée de Tagab, Afghanistan, 2010 : le GTIA Bison du 126e régiment d’infanterie a pour mission de réduire une poche de résistance. Un caporal se retrouvant isolé est brusquement pris à partie par un ennemi taliban qui lui tire une rafale à courte distance. Les impacts encadrent sa tête de part et d’autre. Quoique indemne, le caporal se trouve sidéré, dans l’incapacité de faire feu et de riposter à cet ennemi qu’il a pourtant devant lui, dans les yeux. Ce dernier sera lui aussi surpris par la situation et finira par quitter le lieu du combat de rencontre. Le caporal sera récupéré par son chef d’équipe et reprendra ensuite sa mission, non sans avoir frôlé la mort (5).

Une aide à la gestion des émotions vient des relations corps/cerveau. Les informations venant du corps (ou encore intéroception) sont déterminantes dans la conscience de la situation. Elles informent le cerveau pour ajuster les comportements à la situation. La représentation des signaux internes au corps joue ainsi un rôle non négligeable dans la réponse émotionnelle, la gestion du stress ainsi que dans la récupération. C’est pourquoi la prise de conscience des signaux internes du corps par les militaires est nécessaire pour une résistance accrue au stress.

Des études récentes montrent une relation entre les signaux électriques venant de l’estomac ou encore du cœur et la réponse du cerveau. La qualité de la relation a été associée à de meilleures qualités de la prise de décision, de performances ainsi que de motivation.

À propos de l'auteur

Gérard de Boisboissel

Ingénieur de recherche, CReC Saint-Cyr *

À propos de l'auteur

Louise Giaume

Docteur, CReC Saint-Cyr/IRBA (Institut de recherche biomédicale des armées).

À propos de l'auteur

Marion Trousselard

Médecin-chef des services de classe normale, IRBA.

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