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Le Brésil face à ses démons sociaux, politiques et sécuritaires

Depuis son élection à la tête du pays en octobre 2022, le président Lula s’attelle à redorer le blason du Brésil tout en défendant son rôle de leader au sein des institutions multilatérales. La criminalité, la pauvreté et l’insécurité alimentaire demeurent néanmoins des fléaux présents dans le quotidien de nombreux Brésiliens. Ces défis à relever à l’intérieur des frontières mettront-ils à mal les ambitions internationales du Brésil ?

Il est courant, voire caricatural, de lire régulièrement des articles de presse ou des ouvrages qui parlent du Brésil faire référence à la citation apocryphe selon laquelle le Brésil serait un grand pays d’avenir et appelé à le rester. En réalité, si cette formule n’est ni de Georges Clemenceau (1), ni du Général de Gaulle, elle résume bien toutes les interrogations qui pèsent sur le Brésil depuis son indépendance du Portugal le 7 septembre 1822. S’y rendre en voyage ou y vivre, c’est rapidement se confronter aux dures réalités de cette société dans la vie quotidienne et remarquer qu’il est difficile d’imaginer un parcours moins chaotique que l’existant pour les 214 millions d’habitants que compte aujourd’hui ce pays (2).

Comme souvent pour l’Amérique latine, la confusion sur ce qui s’y passe est entretenue par une vision hémiplégique de la complexité et des réalités de cette région du monde, et par une avalanche de clichés qui finiraient, par leur ampleur et leur large diffusion, par devenir un objet d’étude en soi. C’est ce que j’appelle personnellement le syndrome « football, favelas, violence, carnaval et bikini » pour le Brésil et il existe peu d’ouvrages spécialisés de qualité ou d’excellents ouvrages de vulgarisation sur ce qu’il est (3) et comment y vivre.

Force est de constater qu’hormis des alternances électorales effectivement importantes dans nombre de pays de la région, la situation économique, sociale et politique du sous-continent n’a pas significativement évolué depuis dix ans (4). La place croissante occupée par la Chine dans le tissu économique régional sud-américain et l’émergence de nouveaux facteurs de déstabilisation, comme la hausse continue des flux migratoires internes à l’Amérique latine ou l’explosion générale de la production et des trafics de stupéfiants, n’ont fait qu’ajouter à un panorama général déjà très gris et qui donne même l’impression, dans le cas du Brésil, que nous assistons à des phénomènes régressifs qui ramènent ce pays de la voie du développement à celle d’un retour en force de la dépendance extérieure et du sous-développement. De ce point de vue, la défaite de Jair Messias Bolsonaro aux élections présidentielles d’octobre 2022 n’a pas fondamentalement changé la donne pour le Brésil.

Les orientations politiques données par la nouvelle présidence Luiz Inácio Lula da Silva depuis son arrivée au pouvoir le 1er janvier 2023 donnent de très nombreux signes d’inquiétude aux alliés traditionnels du Brésil, dont la France, et ne permettent pas d’entrevoir une amélioration notable de sa situation intérieure. Ses orientations internationales témoignent d’une rupture diplomatique symbolique avec les États-Unis et les États membres de l’Union européenne, d’un rapprochement économique inconditionnel avec son premier partenaire, la Chine, et d’un soutien indirect à la Russie dans le conflit ukrainien, en se présentant comme un médiateur qui aurait en fait choisi son camp, celui de Vladimir Poutine.

Certaines déclarations brésiliennes, comme le soutien à la création d’une monnaie commune par les BRICS pour concurrencer le dollar, ou l’affirmation d’un partenariat stratégique avec la Chine lors du voyage du président Lula da Silva dans ce pays en avril 2023, obligent donc à s’interroger sur ce que voudrait devenir le Brésil dans les prochaines années et ce sur quoi la France pourrait s’appuyer dans sa relation bilatérale avec un État où nos intérêts diplomatiques, frontaliers, industriels, commerciaux et militaires restent considérables. Or, au vu de ce qui se passe actuellement au Brésil, la France, comme ses principaux partenaires, est sur une ligne de crête face à des autorités brésiliennes qui ne cherchent pas particulièrement à accroître ou même améliorer nos relations bilatérales.

On peut cependant se demander en quoi ces différents virages diplomatiques vont changer les difficultés structurelles du Brésil et améliorer le quotidien de ses habitants. Il est donc plus que jamais nécessaire de se focaliser sur les tendances à l’œuvre dans la société brésilienne pour anticiper sur le devenir de ce pays et pour comprendre ce qu’il pourrait être d’ici dix ans, en particulier sur trois points clefs : la question sociale, l’insécurité et la dépendance croissante à la Chine.

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