Le Brésil est devenu une plate-forme majeure de la criminalité mondiale
Phénomène structurel de très grande ampleur, le Brésil reste un pays violent, où l’insécurité règne en maître dans de nombreuses villes et régions. Les causes sont évidemment multiples, qu’il s’agisse des inégalités sociales, de la déstructuration des familles, de l’absence de suivi des élèves par de nombreux établissements scolaires primaires et secondaires, de l’inefficacité ou de la corruption des autorités locales et de police, de la peur des populations, de la faiblesse du civisme, de l’importance des détentions d’armes ou de l’augmentation du trafic de stupéfiants dans tous les milieux sociaux.
Dans ses articles de 2017 consacrés à ces questions d’insécurité et de criminalité, Bertrand Monnet (10) a montré la croissance vertigineuse des groupes criminels brésiliens depuis la révolte générale des prisons de 1993. Il a centré ses travaux sur l’émergence du PCC, le Primeiro comando da capital ou Premier commando de la capitale (11). Ce mouvement criminel barbare et sanguinaire n’est pourtant qu’une fraction de la criminalité tous azimuts qui frappe aujourd’hui le Brésil, même si celui-ci tend à devenir l’un des groupes criminels les plus dangereux au monde. Or, ni Bolsonaro ni Lula n’ont sérieusement engagé un plan de lutte massif contre ces phénomènes qui gangrènent le pays et menacent à la fois sa stabilité et son développement économique. Depuis 2000, 1,2 million de Brésiliens sont morts par homicide. Le dernier plan un tant soit peu sérieux avait été lancé par le président Lula en août 2007 avec un programme de lutte contre la violence dans les grandes villes doté d’un budget de 6,7 milliards de reais (2,4 milliards d’euros) dans le cadre d’un programme national de sécurité intitulé PRONASCI. Ce plan prévoyait une augmentation du nombre d’agents de sécurité dans les quartiers défavorisés et une volonté de limiter les homicides. Ce fut en fait un échec.
Dix ans plus tard, en 2017, la guerre entre organisations criminelles a conduit les homicides à un niveau de 64 000 victimes annuelles ; un record pour un pays qui n’est pas en guerre, soit 30,9 morts violentes intentionnelles pour 100 000 habitants. Certes, depuis 2018, les conflits entre groupes mafieux se sont « apaisés », en partie du fait de la Covid-19, et le niveau des homicides a même reculé entre 2018 et 2022, durant la présidence Bolsonaro, pour des causes globalement exogènes à la politique de sécurité menée durant ces années et qui tiennent aussi à une amélioration notable de la situation économique du pays. De facto, l’indicateur d’homicides a baissé de 22 % en 2019, de 10 % en 2020, puis de 7 % en 2021 (12). Mais aujourd’hui, la criminalité repart à la hausse et le mois de mai 2023 a été particulièrement meurtrier. L’opposition à la présidence Lula crie au laxisme et le Brésil a une chance non nulle de ployer sous le poids de la criminalité si rien d’envergure n’est entrepris dans les trois prochaines années.
Plus grave, la criminalité brésilienne s’exporte de plus en plus et menace aujourd’hui l’Europe, alors que les autorités brésiliennes éprouvent bien des difficultés à coopérer avec leurs homologues européennes, sans même parler de l’absence totale de politique vers le golfe de Guinée pour lutter contre la piraterie ou contre les trafiquants de toute sorte qui pourrissent la situation en Guyane française qui est, faut-il le rappeler, la première frontière continentale de la France. Pour l’Europe, les circuits sont clairement identifiés depuis le lancement de l’opération « Barkhane » en 2013. Des bateaux, et peut-être demain des sous-marins de poche, traversent l’Atlantique et se rendent en Afrique occidentale pour convoyer la drogue. Là, ils font la jonction avec des groupes djihadistes au Sahel et des groupes criminels en Afrique du Nord.
L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), dans son rapport 2023 publié le 26 juin dernier (13), montre que les quantités de cocaïne saisies au Sahel ont bondi, passant de 13 kg par an entre 2015 et 2020 à 35 kg en 2021 et à 863 kg en 2022. La drogue passe ensuite à travers le Sahara, avec le soutien de filières djihadistes qui prélèvent leur dîme, puis la Méditerranée, utilisant habilement les filières clandestines de migrants et rejoignant l’Europe. Or, au vu des quantités croissantes et des sommes en jeu, il n’est pas inutile de s’interroger sur l’avenir de l’Afrique occidentale car l’économie de la drogue en provenance du Brésil et d’Amérique latine va là aussi finir par pourrir complètement les perspectives de développement de la région, impactant les flux migratoires de populations qui fuiront les nouvelles menaces et limitant les possibilités d’investissement productif. C’est donc un circuit particulièrement pervers qui se met en place et qui peut contribuer à violemment déstabiliser l’Union européenne dans les cinq prochaines années. Il est donc plus que temps d’agir et de rénover Frontex et les mécanismes de Schengen de fond en comble.