Au pouvoir depuis 2011, Kim Jong-un a célébré la fin de l’année 2022 et le début de 2023 avec des lancements de missiles, faisant trembler non seulement ses voisins du sud de la péninsule Coréenne, mais aussi le Japon et les Occidentaux. En digne héritier de ses grand-père (Kim Il-sung ; 1948-1994) et père (Kim Jong-il ; 1994-2011), le dictateur nord-coréen conduit une politique de menace permanente pour légitimer coûte que coûte son régime.
Le 1er janvier 2023, Pyongyang envoie un missile balistique de courte portée en mer du Japon ; la veille, trois autres projectiles avaient été tirés en direction de la Corée du Sud. Ce faisant, Kim Jong-un réaffirme sa dialectique de guerre totale vis-à‑vis de la patrie sœur, avec qui la paix n’a jamais été signée depuis la fin du conflit de 1950-1953. Ainsi, sur la période 1984-2022, la Corée du Nord a effectué 226 lancements de missiles, dont 168 avec succès, selon le décompte du think tank américain Nuclear Threat Initiative (1). Kim Jong-un bat tous les records : près de 200 depuis son arrivée en décembre 2011, sachant que les données varient selon les sources. La plupart ont une portée limitée, entre 150 et 1 000 kilomètres, pouvant atteindre la Corée du Sud, mais aussi le nord-est de la Chine, l’extrême est de la Russie et le Japon. L’industrie militaire nord-coréenne – sur laquelle il est difficile de trouver des données fiables – posséderait des armements plus lourds et plus destructeurs, avec une capacité de vol dépassant 13 000 kilomètres. Autrement dit, le monde entier peut en théorie être touché par un engin de Kim Jong‑un. Le 18 février 2023, il a même fait tirer un missile intercontinental (ICBM), ce que l’ONU a condamné.
Logique de guerre
Les essais enregistrés avec un missile de très longue portée sont rares, élément laissant penser que Pyongyang ne détient pas (encore) la technologie suffisante pour compléter son programme militaire. Toutefois, cela rappelle aussi la logique de guerre locale du régime, qui multiplie les lancements vers la Corée du Sud, alimentés par des escalades verbales du dictateur. Kim Jong-un a qualifié le gouvernement du président sud-coréen Yoon Seok-youl, conservateur élu en mars 2022, d’« ennemi incontestable », appelant à une « augmentation exponentielle » de l’arsenal nucléaire. Il se dit prêt à réaliser de nouveaux essais de bombe atomique – le dernier a eu lieu en 2017, après ceux de 2006, 2009, 2013 et 2016.
Si la Corée du Nord n’est officiellement pas une puissance militaire nucléaire – sont reconnus comme tels les États-Unis, la Chine, la France, le Royaume-Uni et la Russie –, elle posséderait entre 40 et 50 ogives sur les quelque 13 000 recensées dans le monde. Pour l’année 2023, Kim Jong-un a fait du programme atomique une priorité stratégique, d’où la multiplication des tirs en 2022, les missiles lancés le 31 décembre 2022 et le 1er janvier 2023 pouvant être équipés d’une tête nucléaire.
Cette logique a son miroir dans le sud de la péninsule : Séoul veut organiser avec les États-Unis des exercices conjoints comprenant l’emploi de moyens nucléaires, ce qui est refusé par Washington, et menace de faire disparaître le régime de Kim Jong-un en cas d’attaque. L’administration Yoon Seok-youl a même évoqué la possibilité d’une guerre ouverte après que cinq drones nord-coréens ont violé l’espace aérien de la Corée du Sud en décembre 2022 – une première depuis 2017. Entre 2012 et 2021, les dépenses militaires de Séoul ont bondi de 43 %, pour atteindre 50,2 milliards de dollars, soit 2,8 % du PIB, et les forces armées rassemblent 600 000 actifs. Du côté nord-coréen, ce pourcentage est estimé entre 20 et 30 %, pour un nombre de soldats de l’ordre d’un million d’hommes (2).
Vers un conflit mondial ?
Si Pyongyang possède le « parapluie » chinois, Séoul conserve le soutien américain, mais aussi celui du Japon. La « diplomatie du missile » menée par Kim Jong-un a le don d’irriter Tokyo, allié historique dans la région des États-Unis et qui a signé, en janvier 2023, un accord de rapprochement militaire avec le Royaume-Uni. Un mois auparavant, le gouvernement nippon avait officiellement révisé la doctrine de défense du pays, historiquement pacifique depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, pour renforcer la sécurité des îles du sud-ouest de l’archipel. L’ICBM lancé le 18 février a atterri dans l’espace maritime japonais, alors que la Corée du Sud et les États-Unis se préparaient à des exercices communs pour répondre à une éventuelle attaque nord-coréenne.
Dans un contexte de domination grandissante de la Chine en Asie-Pacifique, les menaces de la Corée du Nord alimentent une ambiance belliqueuse pouvant conduire à un conflit ouvert et régional (voire mondial ?). Or cette éventualité va à l’encontre des intérêts politiques et économiques de Pékin et de Washington ; il leur revient donc de freiner les ardeurs de leurs obligés respectifs. Ne l’oublions pas : en 2022, la guerre en Ukraine a surpris la communauté internationale, qui ne pouvait pas croire au retour des canons en Europe. Les provocations de Kim Jong-un sont à prendre au sérieux si l’on ne veut pas voir s’ouvrir un autre front incontrôlable.
Notes
(1) La base de données est consultable sur : www.nti.org/analysis/articles/cns-north-korea-missile-test-database
(2) US Defense Intelligence Agency, North Korea Military Power : A Growing Regional and Global Threat, 2021.