Comme l’analyse le général Burkhard, chef d’état-major des armées, en haute intensité il y a les armes de décision et les armes d’usure. L’Aarok peut être tour à tour l’une et l’autre : arme de décision en allant, par exemple, mener des frappes SEAD (1) au risque d’un taux de perte élevé ; arme d’usure lorsqu’il s’agit de harceler et d’abraser les lignes ennemies. Enfin, l’Aarok va chercher les marchés étrangers inaccessibles à l’EuroMALE. On ne peut pas laisser nos compétiteurs prendre des parts de marché sans réagir ! Un drone, c’est d’abord un radar, un capteur optronique, de l’armement, etc. C’est toute la BITD française que nous entraînons derrière nous sur les marchés étrangers.
Le potentiel de l’Aarok est important, que ce soit en termes de charge utile militaire, de capteurs ou même d’emploi. Comment allez-vous le faire évoluer ? Avez-vous déjà un calendrier pour les essais en vol ?
Nous espérons le faire voler dans les prochains mois, mais comme nous l’avons dit plus haut, cela dépend surtout des autorisations administratives. Ensuite, il évoluera par incréments successifs, comme le Rafale avec ses différents standards, pour faciliter le développement et la soutenabilité budgétaire.
L’Aarok aura trois missions principales : les missions ISR, c’est-à‑dire le renseignement, la surveillance et la reconnaissance ; les missions de frappe, c’est-à‑dire l’interdiction, l’appui-feu rapproché (CAS), la suppression des défenses aériennes ennemies, etc ; les missions de relais de communication, qui sont très importantes selon nous. Nous envisageons l’Aarok comme une sorte de BACN (2) à la française, dont nous considérons qu’il donnera une plus grande cohérence à Scorpion en assurant l’intervisibilité des différents engins déployés. Avec un relais de communication volant haut et longtemps, les unités tactiques pourront se disperser davantage et couvrir des zones bien plus vastes. Et, en plus, elles seront connectées à la L‑16 et aux états-majors éloignés via les communications satellitaires. L’Aarok est un accélérateur du combat multidomaines.
Nous envisageons des standards distincts pour couvrir ce vaste panel de missions. Je peux vous en citer au moins deux. Le premier sera un drone équipé d’un radar, d’un capteur optronique de 25 pouces, et de systèmes de guerre électronique. Il sera destiné aux missions de surveillance, maritime et terrestre. Ce sera le plus coûteux de la gamme, mais avec des risques de perte relativement faibles.
Le deuxième sera au contraire un drone très simple, taillé pour l’appui-feu au plus près des lignes ennemies. Nous rêvons qu’il puisse être directement à la main du chef tactique, avec un équipage déployé au même niveau que le sont les JTAC (3) actuellement. Ce serait comme si le commandant d’un GTIA ou d’un SGTIA (4) avait son propre A‑10 à disposition, en permanence ! L’Aarok décollerait de sa base, supervisé par l’équipage qui s’y trouve. Il rejoindrait le front, où il passerait sous le contrôle de l’équipage inséré dans le groupement tactique. Il y resterait tant qu’il disposerait de munitions ou de carburant, avant d’être relayé par un autre Aarok, etc. Le chef tactique aurait en permanence une couverture ISR et CAS insérée dans son unité. C’est bien sûr un cas limite, mais il nous semble qu’il ouvre des perspectives fascinantes.
On l’a vu au dernier salon du Bourget, l’écosystème français des drones est en pleine ébullition, avec bon nombre de propositions. Comment Turgis & Gaillard entend-il s’y positionner ?
Nous sommes dans notre niche depuis 2011 : nous développons les systèmes trop petits pour intéresser les grands maîtres d’œuvre de la BITD, mais trop gros pour se faire sans une conduite de programme robuste. Nous n’allons donc pas produire de drones plus petits que l’Aarok. Sur le segment juste au-dessous, le Patroller occupe l’espace sans contestation possible : c’est un drone remarquable, qui a déjà été certifié, qui entre en service et qui a été vendu à l’export. De plus, Safran est notre partenaire depuis le début de notre aventure : ils étaient déjà avec nous sur le Gerfaut. Nous travaillons en confiance avec eux. Sur le créneau encore au-dessous, Delair et EOS sortent du lot. Nous avons beaucoup de respect et d’estime pour ces deux sociétés, animées par des gens aussi passionnés que nous le sommes. J’espère que nous aurons l’occasion de collaborer prochainement.