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Guerre navale : l’émergence des K-USV

La guerre d’Ukraine a aussi une dimension navale marquée, non sans qu’elle soit paradoxale. Une marine essentiellement côtière, dont les principales unités ont par ailleurs été rapidement neutralisées, a ainsi été en mesure d’infliger des pertes importantes à la flotte de la mer Noire russe, incomparablement plus puissante, tout en la forçant à adopter une posture défensive. L’un de ses instruments a été le drone de surface kamikaze (K‑USV – Kamikaze ou Killer – Unmanned surface vehicle). Avec une question à la clé : ce type de capacité va-t‑il se généraliser ?

Les actions ukrainiennes de guerre navale ne peuvent se résumer à l’emploi de ces drones. À l’usage massif d’OWA-UAV (One way attack – Unmanned air vehicle) et de missiles de croisière contre Sébastopol ou la base aérienne de Saki, il faut ajouter celui de batteries côtières, notamment contre le Moskva, ou encore des raids de forces spéciales contre les plateformes offshore Boyko ou en appui de raids de missiles sur Sébastopol. Pourtant, ces drones de surface ont pu mener plusieurs actions spectaculaires, qui sont porteuses de leçons à plusieurs égards.

Premières leçons

À l’examen du tableau ci-contre, qui liste ces actions, le premier constat est celui d’une efficacité a priori très relative : outre les interceptions par les équipages des navires ciblés – le plus souvent par des mitrailleuses, quelquefois par des canons de petit calibre –, aucun bâtiment n’a été coulé. Au mieux, les dégâts infligés ont nécessité une immobilisation temporaire au dock (1). L’usage de K‑USV semble plus pertinent contre des infrastructures, mais il apparaît rapidement que la Russie a mis en place une série de contre-­mesures : filets, patrouilles, sensibilisation des équipages et de l’infanterie protégeant les bases. De plus, l’hypothèse d’un pilotage des drones en utilisant le système de communication satellitaire Starlink a rapidement été posée, ce qui a conduit son dirigeant à limiter le service fourni (2) avec comme possible conséquence la réduction soit l’efficacité des raids, soit du nombre d’actions engagées. De prime abord donc, l’investissement ukrainien semble tactiquement peu efficace.

D’un point de vue stratégique en revanche, le constat est différent. La multiplication des attaques de tous types – dont celles menées avec des K‑USV – place, dès l’automne 2022, la marine russe dans une posture de « flotte en vie ». La logique est alors de ne pas risquer outre mesure les bâtiments, non seulement pour les conserver, mais aussi pour maintenir leur potentiel dissuasif. Cela confirme la vision de Julian Corbett en la matière, fondée sur le fait que même le plus petit acteur naval est en mesure de disputer la maîtrise de la mer à une puissance dominante (3). Cette posture va d’abord se traduire par des déploiements essentiellement à proximité immédiate des bases, sous la protection de l’aéronavale basée au sol. Cela impliquera aussi, à plusieurs reprises, le repositionnement de la plupart des unités à Novorossiisk, en Russie, à plus grande distance des côtes tenues par les Ukrainiens.

L’avantage comparatif de ces drones réside dans leur télépilotage, qui permet de s’adapter au changement des conditions tactiques ; dans leur puissance de feu ; et dans leur portée. L’attaque la plus spectaculaire, sur le collecteur de renseignement Ivan Khurs, a ainsi lieu alors qu’il opère à proximité de la zone économique exclusive turque, à plusieurs centaines de kilomètres du point de lancement possible des drones – soit des portées que ne pourraient atteindre les missiles antinavires ukrainiens. De même, l’attaque contre l’Olengorsky Gornyak, dans le port de Novorossiisk, a été lancée à 675 km de distance. En fonction des emports en carburant – la motorisation observée jusqu’ici étant diesel, associée à des hydrojets –, le drone peut également être prépositionné à distance utile de frappe pour être engagé au moment le plus opportun, offrant potentiellement une plus grande discrétion qu’un seul transit direct vers la cible.

Les K-USV impliquent aussi de frapper avec des charges importantes, estimées à 200 ou 300 kg d’explosif pour les premiers types observés, et à 450 kg pour le drone auquel est imputée l’attaque du pétrolier Sig. Ces charges sont donc potentiellement plus importantes que celles de missiles antinavires. L’Ukraine semble avoir conçu plusieurs générations de K‑USV, dont un engin sous-­marin ne laissant apparaître qu’un mât couplant le système de guidage et l’optronique, ce qui réduit considérablement les signatures visuelle et sonore. Il n’est cependant pas certain qu’il ait déjà été engagé en opération. Dernier-­né des systèmes ukrainiens, le Sea Baby est plus massif, a une meilleure hydrodynamique, pourrait ne plus dépendre du système Starlink, mais, surtout, disposerait d’une charge explosive de plus de 850 kg. Il a été utilisé dans l’attaque du 17 juillet sur le pont de Crimée. La construction même de ces systèmes ne nécessite que des outillages et des composants assez facilement disponibles dans le domaine civil, de la propulsion aux coques potentiellement en fibre de verre. En outre, le financement de plusieurs de ces drones se ferait par des actions de crowdfunding, sans qu’il soit possible de connaître la part des financements étatiques.

À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

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