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Guerre navale : l’émergence des K-USV

Mais leurs avantages ont aussi une contrepartie : en surface, le drone est visible et bruyant, même si les images rendues publiques montrent une réelle manœuvrabilité. Il peut donc être intercepté plus facilement qu’un missile. Surtout, son télépilotage implique que le service utilisé soit disponible : s’il est très difficile de brouiller la réception satellitaire, le service peut être interrompu par le fournisseur, neutralisant l’innovation – ce qui n’exclut pas un guidage plus classique, line of sight, mais d’une portée moindre et susceptible d’être plus facilement brouillé. Reste également un autre point potentiellement problématique : si le couplage entre optronique et liaison satellitaire s’avère pertinent lors de l’attaque terminale, le transit préalable nécessite de savoir où se trouvent les cibles potentielles et cet impératif importe d’autant plus que la portée est longue. Le drone ne se suffit donc pas à lui-même, il doit intégrer un « complexe de reconnaissance-­frappe ». Plusieurs attaques pourraient ainsi avoir bénéficié d’informations issues de drones, ou encore d’appareils de patrouille maritime américains ou britanniques opérant au-­dessus de la mer Noire. Le suivi des entrées et sorties des ports pourrait également s’être appuyé sur la constellation de satellites radars Iceye, à laquelle l’Ukraine a accès (4).

Prolifération ?

L’expérience ukrainienne apparaît comme un « galop d’essai » pour un nouveau type de système, par ailleurs encore en cours d’évolution. Mais ce dernier semble déjà intéresser beaucoup. En Turquie, Aselsan s’est rapidement attelé à développer l’Albatros‑S, initialement un USV utilisé comme cible d’entraînement présenté en 2021, en remplaçant sa charge utile par une charge explosive de 200 kg et, surtout, en le dotant d’une capacité d’attaque en essaim. Cette dernière a fait l’objet d’une démonstration début octobre 2023, l’idée étant de mener des attaques multidirectionnelles, en essaims, afin, comme l’a fait l’Ukraine, de saturer les dispositifs défensifs. Le bâtiment cible a, en l’occurrence, été coulé. La Turquie a également développé, par l’intermédiaire d’Havelsan, le concept-ship Çaka, un trimaran semi-submersible de 8,5 m de long et de 3,2 m de large déplaçant 3,2 t dont le projet a été présenté pour la première fois en juin 2023. Capable d’atteindre 60 nœuds en surface grâce à un moteur de 550 ch – une vitesse utilisée au moment de l’attaque terminale –, il peut aussi plonger à faible profondeur, sa navigation étant alors assurée par une centrale inertielle qui peut être recalée à intervalles préprogrammés en refaisant surface. Une commande line of sight est alors utilisée, d’une portée de 250 nautiques, mais une liaison satellitaire pourrait aussi être intégrée. Aucun prototype n’a encore été produit, mais il est là aussi question d’une capacité d’attaque en essaims. Une fois embarqué sur des bâtiments, il pourrait également être utilisé dans des missions d’éclairage de la flotte.

Taïwan semble également très intéressé par le concept de K‑USV, avec un programme de conception engagé par le NCIST (National Chung-Shan institute of science and technology) qui doit déboucher sur la construction de deux prototypes à partir de 2026. Peu est connu du programme, mais la portée des drones doit atteindre 70 km. Construit en série, ce type de système est vu comme un élément de compensation à la puissance navale chinoise. L’option peut être légitime. Discrètement lancés depuis des zones reculées ou depuis des navires, ces drones frappent à la ligne de flottaison et peuvent embarquer de gros volumes d’explosifs – potentiellement supérieurs à ceux que l’on peut trouver sur un missile antinavire, dont ils n’ont pas le potentiel de pénétration. Pour autant, ils sont aussi vulnérables : si l’attaque contre l’Al Madinah par un K‑USV houthiste en 2017 – la première action de ce genre (5) – a réussi, c’est aussi par défaut d’observation et de surveillance de la part de l’équipage. De même, la dépendance aux communications induit une vulnérabilité au brouillage et à la guerre électronique. À lui seul donc, le K‑USV n’apparaît pas comme un game changer de la guerre navale, mais pourrait bien constituer une menace supplémentaire dans une action navale devenant un peu plus interarmes. 

Notes

(1) Une assertion à nuancer par le fait que plusieurs des cales sèches russes ont été frappées.

(2) Béatrice Hainaut, « Premiers enseignements de l’usage des satellites commerciaux dans la guerre d’Ukraine », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 90, juin-juillet 2023.

(3) Sur ce concept renvoyant aux travaux de Julian Corbett, voir : Joseph Henrotin, « Corbett et la maîtrise de la mer », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 62, octobre-novembre 2018.

(4) Joseph Henrotin, « New Space contre Old Space ? Le paradoxe de la guerre d’Ukraine », Défense & Sécurité Internationale, hors-série n° 90, juin-juillet 2023.

(5) Alexandre Sheldon-Duplaix, « Les drones navals de combat dans les opérations maritimes », Défense & Sécurité Internationale, no 167, septembre-octobre 2023.

Tableau.

Cas d’emploi de K-USV ukrainiens contre les forces russes

21/09/2022

USV ukrainien retrouvé échoué à proximité de Sébastopol

 

08/10/2022

Possible usage d’un K‑USV contre le pont de Crimée

Trafic ferroviaire lourd interdit plusieurs mois ; trafic routier interrompu temporairement

29/10/2022

Attaque de K‑USV et d’OWA‑UAV ukrainiens sur Sébastopol.

Frégate Makarov visée, mais non détruite ; un chasseur de mines Natya touché. La Russie revendique sept USV ukrainiens détruits. Une autre explosion a été enregistrée

18/11/2022

Attaque de K‑USV sur Novorossiisk

Terminal pétrolier potentiellement atteint

24/04/2023

Attaque de K‑USV contre Sébastopol

Interception des drones sans dommages à la base

24/05/2023

Attaque de trois K‑USV contre le collecteur de renseignement Ivan Khurs à la limite de la ZEE turque

Interception d’au moins deux drones. Dommages non avérés au bâtiment

27/07/2023

Possible attaque de K‑USV contre le pont de Crimée

Une travée routière temporairement hors de service

04/08/2023

Attaques de K‑USV contre le pétrolier russe Sig et le LST de type Ropucha Olenegorsky Gornyak à Novorossiisk

Le Sig est atteint à la ligne de flottaison, au niveau de la salle des machines. L’Olenegorsky Gornyak est touché et remorqué

14/09/2023

Attaque de trois K‑USV sur une corvette russe de classe Bykov

Selon la Russie, les K-USV ont été détruits. Selon l’Ukraine, l’attaque a réussi

14/09/2023

Attaque de K-USV sur une corvette russe de classe Bora

Les images montrent la corvette atteinte à la poupe

15/09/2023

Attaque de K‑USV sur une corvette russe de classe Karakurt

Selon la Russie, les K-USV ont été détruits

10/11/2023

Attaque de K‑USV sur deux LCU Serna et Ondatra

Destruction des deux unités

Légende de la photo en première page : Capture d’écran de la vidéo d’une mise à l’eau d’un Magura, qui montre notamment le positionnement des optroniques. (© D.R)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°93, « Technologies militaires 2024 », Décembre 2023-Janvier 2024.

À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

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