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Une Troisième Guerre mondiale « sous le seuil » ?

D’un autre côté, la limite haute définit ce qu’il est impossible de faire et qui donc serait accueilli par une réplique nucléaire quasi certaine : l’agression conventionnelle du territoire d’une puissance nucléaire, l’attaque du territoire d’un pays de l’OTAN, une guerre contre un allié vital, comme le Japon, etc. Lorsque l’on approche de cette « voûte » nucléaire, selon la formule d’Olivier Zajec (1), il est certain que le risque de guerre nucléaire se précise, et aucune grande puissance n’a pour le moment cherché à trop s’en approcher, comme le montre l’issue des différentes crises nucléaires qui ont jalonné l’histoire de la guerre froide.

« Seuil » ou « zone d’incertitude » nucléaire ?

Quel est l’intérêt de définir le possible et l’impossible par cette double limite, basse et haute, établissant une zone intermédiaire, que l’on peut décider d’appeler « zone d’incertitude nucléaire » ? Principalement, il réside dans la disparition de la notion de « seuil » nucléaire, telle que l’avait pensée en 1960 Herman Kahn (2), ce qui conduit à ne plus définir une ligne de façon trop rigide, en donnant l’impression que l’on sait très précisément quand une guerre nucléaire sera déclenchée.

À l’inverse, penser une « zone d’incertitude nucléaire », où un conflit total devient possible, probable puis plausible à mesure que l’on y pénètre, permet de conserver sa capacité de compréhension et d’analyse. En effet, si une « ligne rouge » est franchie, mais ne provoque aucune réaction, pour quelque raison que ce soit, l’ambiguïté même de la notion permet au stratège et au décideur politique de maintenir la dissuasion crédible et menaçante.

La doctrine française de l’« ultime avertissement », couplée à une définition vague des « intérêts vitaux », que l’on serait bien en peine de définir et qui connaissent certainement des redéfinitions au gré des transformations du contexte stratégique, en est une parfaite illustration (3). Suffisamment claire pour faire comprendre les risques qui seraient liés à des provocations inutiles, mais suffisamment floue pour que la limite « basse » soit définie de la manière la plus large possible, elle permet à la France de provoquer l’incertitude chez ses compétiteurs stratégiques. C’est très exactement l’inverse avec l’article 5 du Traité de l’Alliance atlantique, qui énonce clairement l’implication immédiate de tous les États membres en cas d’agression.

Se départir de la notion de seuil et penser en termes de zone d’incertitude nucléaire permettrait donc de penser de manière moins mécanique et plus flexible, tout en incorporant de manière dynamique les évolutions du contexte international. Cette notion nous permet en outre de penser non pas un « plafond » à partir duquel nous entrerions dans le duel à mort, mais une zone de montée progressive des tensions, où un nombre important et indéfini d’actions hostiles sont envisageables. Et c’est justement cette zone qui connaît un élargissement progressif depuis 2020.

La question que nous sommes en droit de nous poser devient alors : l’augmentation de la zone d’incertitude nucléaire est-elle devenue assez permissive envers les acteurs révisionnistes pour qu’une série de guerres, menées plus ou moins en coordination, puisse atteindre l’intensité de violence d’un conflit mondial et, ainsi, mettre à mal la prédominance américaine et occidentale sur le système international ?

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