La nouvelle la plus importante de 2023 concernant le développement des technologies de défense sera passée assez largement inaperçue : un premier drone doté d’une capacité ATR/ATA (Automatic target recognition/Automatic target acquisition) utilisant une intelligence artificielle fondée sur l’apprentissage statistique est engagé au combat ; avec succès. Il est ukrainien et le système d’armes s’appelle Saker. Mais il n’est toujours pas autonome.
L’aptitude d’un système d’armes à reconnaître automatiquement une cible – la capacité ATR – n’est pas nouvelle. Dès le milieu des années 1990, la munition rôdeuse LOCAAS (Low cost autonomous attack system) devaitt identifier ses cibles en comparant l’image 3D produite par le Lidar (Laser radar) installé dans son nez et une bibliothèque d’images embarquée comprenant les types de véhicules à détruire. Une fois confirmée, la cible devait être détruite automatiquement, le missile se verrouillant dessus (ATA). Le petit missile, trapu et doté de son propre réacteur, aurait eu une portée d’une centaine de kilomètres et aurait pu être largué depuis des avions ou encore des missiles Tomahawk. L’US Air Force et l’US Navy se prennent alors à rêver de détruire des divisions blindées depuis des bombardiers ou des sous-marins lanceurs de missiles de croisière. L’US Army fait retarder les financements, et le premier essai n’intervient qu’en 2003 ; mais le programme est alors surtout maintenu par Lockheed Martin.
Le pixel targeting, utilisé sur les bombes guidées Spice 2000 ou, potentiellement, sur les missiles de croisière Delilah israéliens, fonctionne différemment. L’imageur de l’arme produit une image comparée à celle disponible là aussi dans la bibliothèque embarquée. Si le système fait appel à des algorithmes permettant une identification sur la base de différentes photos – et donc à l’apprentissage statistique –, l’opérateur humain sélectionne le matériel à traiter (1). Plusieurs SA‑22/Pantsir iraniens et syriens ont ainsi été détruits par la force aérienne israélienne ; sachant que l’opérateur reste là dans la boucle et que le système est avant tout une aide au ciblage. Une variante nettement plus rustique de la reconnaissance et de l’acquisition automatique de cible existait sur le missile Brimstone : le radar millimétrique de l’engin détectait des masses compatibles avec la signature de véhicules et se verrouillait dessus. Conçu pour traiter les vagues de chars soviétiques durant la guerre froide, il nécessitait évidemment de définir une « kill box » dans laquelle aucun véhicule ami ou civil n’était présent – il n’était tout simplement pas en mesure de faire la distinction (2).
Ultra smart very bad killbot ?
Le drone Saker Scout fonctionne encore différemment. Autorisé pour un usage au combat par le ministère ukrainien de la Défense début septembre, le quadcopter a été engagé peu après en opération. Aucune atteinte de cible n’a cependant été confirmée, si du moins il a été engagé dans un mode cinétique. Il utilise un logiciel fondé sur le machine learning et l’apprentissage statistique (3) – le Saker, de la firme du même nom – permettant de détecter, de classifier (en y affectant un pourcentage de certitude) et éventuellement d’attaquer 64 types de systèmes militaires, par l’intermédiaire de sa caméra jour/nuit stabilisée (4). Le logiciel est destiné à évoluer en fonction des demandes concernant les cibles à identifier et à traiter. A priori, le système permet de répondre à plusieurs problèmes :
• le plus évident est celui de la perte de liaisons radio entre un drone et son opérateur, du fait notamment de la guerre électronique – toute communication coupée signifiant la fin de la mission et, le plus souvent, la perte du drone…
• un autre aspect est l’usage par le drone de ses systèmes d’apprentissage comme aide à la navigation. En l’absence de signal GPS ou en cas de signal dégradé, il peut ainsi s’appuyer sur la reconnaissance de points de repère.