Exacerbation des tensions sur l’enjeu énergétique
L’Union européenne décrète le « tout-véhicule électrique » en 2035. Face à l’offensive commerciale chinoise portée par ses champions nationaux subventionnés, l’Europe déclenche une enquête sur les subventions chinoises et s’expose à des mesures de rétorsion (accès au marché, contrôle des échanges, restriction de fourniture de métaux rares) vers le conflit. La bataille pour l’accès aux métaux rares illustre cette spirale de la « militarisation » : restriction des exportations, interdiction des exportations, voire captation de la valeur de la chaîne de traitement des matériaux. La Chine déroule une stratégie de long terme visant à dominer les technologies critiques et les marchés de l’industrie de la transition climatique. Elle détient la plus grande source de terres rares au monde avec 44 millions de tonnes (Institut d’études géologiques des États-Unis). Elle a récemment annoncé une série de restrictions à l’exportation visant le gallium et le germanium, essentiels à la fabrication des panneaux solaires, mais aussi des micro-processeurs. La Malaisie de son côté vient de décréter l’interdiction d’exportation des terres rares, afin d’éviter les risques d’accaparement. Enfin, l’Indonésie exige des entreprises minières avec lesquelles elle contractualise d’installer dans le pays les usines de la chaîne de traitement.
L’énergie est « l’industrie de l’industrie ». Reconquérir la souveraineté énergétique est essentiel pour conduire la bataille du système productif vers un modèle décarboné. À l’échelle mondiale, le rapport de force géoéconomique et les risques sont inscrits notamment dans la transition de l’énergie fossile à l’énergie verte et dans l’adaptation aux impératifs de la décarbonation. Au sein de l’Union européenne, l’Allemagne livre un combat acharné contre la filière nucléaire et énergétique française. Le futur énergétique de l’Union se trouve résolument handicapé par cette crise, au moment où ses forces collectives doivent se rassembler pour affronter les conséquences de l’IRA américaine et l’offensive chinoise. L’enjeu du conflit est la production d’hydrogène à partir de l’électricité verte, solaire ou éolienne (Allemagne) et à partir de l’électricité d’origine nucléaire (France). Une récente note d’alerte des analystes de l’École de guerre économique décrit « la guerre informationnelle » et l’ingérence de fondations politiques allemandes, financées dans ces actions par leur gouvernement, dont le but est de fragiliser durablement la filière nucléaire et énergétique française.
La guerre des normes
La « finance verte » (4) comme ensemble d’outils financiers constitue un acteur majeur de la réponse au défi climatique à travers la réorientation massive des flux financiers vers l’adaptation des économies et l’alignement de la stratégie des entreprises. Ici, elle se situe au cœur d’une bataille d’influence pour dominer le marché de la notation et y acquérir le pouvoir de formatage. Au moment où l’EFRAG — institution européenne d’homologation des normes comptables — se penche sur la préparation d’un référentiel européen de reporting, se crée officiellement une alliance stratégique concurrente, composée de normalisateurs internationaux et d’ONGs sur la comptabilité durable en majorité américains. Certains de ces acteurs sont les représentants de grands investisseurs tels que BlackRock, ou de fournisseurs de données tels que Bloomberg. Deux risques géoéconomiques se dessinent, issus de la bataille pour le pouvoir normatif sur « le reporting climat » : la compétition/contestation pour la captation du marché de la donnée extra-financière dont la valeur pourrait être multipliée par 10 dans les années futures et le risque de dépendance vis-à-vis du futur référentiel américain. Pour l’Union européenne, la bataille du pouvoir est déjà engagée sur un échiquier moins visible, celui des prises de participation ou des rachats des sociétés de cotation. En 2019, le français Vigeo a par exemple été racheté par l’américain Moody’s.
La fracture Nord-Sud et le risque de nouvelles dépendances
En novembre 2022 à Charm el-Cheikh se tenait la COP27. Les pays africains lancent l’Initiative des marchés du carbone en Afrique. L’Accord de Paris actait l’utilisation des réductions d’émission de GES d’un pays tiers pour respecter ses propres engagements climatiques. En échange, le pays contractant peut utiliser ses abondantes ressources naturelles pour libérer de la valeur économique et accélérer sa diversification économique. L’ambition de 2022 est de produire 300 millions de crédits carbone par an en facilitant les investissements dans des projets offrant une action climatique significative et générant des crédits carbone à haute intégrité. La course au crédit carbone en Afrique se traduit par des accords tels que celui très récemment signé entre deux entreprises chinoises et les autorités de la Zambie endettée. Il s’agit de protéger et de restaurer le couvert forestier sur 40 000 km² (5 % du territoire). Mais « le marché du carbone volontaire » est si mal réglementé qu’il a dérivé vers un risque réel identifié d’accaparement de terres — celles destinées à produire des crédits-carbone. Il a dérivé également mondialement vers le greenwashing. Début 2023, le journal allemand Die Zeit et le Guardian britannique publient une enquête dénonçant le scandale climatique de la manipulation du système des crédits-carbone par les organismes — souvent des ONG — certificateurs de la réalité des projets que les entreprises financent en contractant des crédits-carbone : « Plus de 90 % de tous les certificats qui en découlent sont sans valeur ». Les innombrables projets de reforestation « ont surévalué » les compensations reçues. Les intermédiaires financiers certificateurs en profitent plus que les populations locales et cela au détriment de la sécurité alimentaire, risque exacerbé par le dérèglement climatique.