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Une paix est-elle possible en Ukraine ?

Le deuxième type d’événement serait un effondrement dans l’édifice politico-militaire de l’un des deux pays. Cela dit, on voit que le système russe a tenu face au stress-test de la mutinerie de Prigojine cet été. En Ukraine, on constate en revanche des divergences entre Zelensky et son chef d’état-major Valeri Zaloujny après l’échec de la contre-offensive. Néanmoins, le scénario de l’effondrement politique parait à ce stade peu probable.

Ensuite, il y a l’issue de l’élection présidentielle de 2024 aux États-Unis. Celle-ci pourrait avoir un impact sur l’avenir du conflit. L’enjeu est celui de la solidité et de la continuité du soutien américain à l’Ukraine, de ce qui est demandé en échange aux Ukrainiens et comment faire accepter ce soutien au public et au Congrès. Un retour de Donald Trump, par exemple, pourrait atténuer ce soutien, instiller le doute et inquiéter les Européens — des effets tout à fait souhaitables pour la Russie. C’est plutôt ici qu’un réel basculement du conflit est imaginable, tant Kyiv est dépendant de l’aide américaine. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a reconnu début octobre que si celle-ci venait à s’amenuiser, les Européens auraient bien des difficultés à s’y substituer.

Cependant, il faudrait encore que cette inflexion se transforme par la suite en discussions entre les deux belligérants. Cela suppose pour les soutiens de l’Ukraine de contraindre Kyiv aux pourparlers, ce qui n’a en réalité jamais été fait par les Occidentaux depuis les accords de Minsk II. Les Occidentaux disposent pourtant de très nombreux leviers : l’aide économique, l’aide militaire ou même l’adhésion à l’Union européenne, pour forcer la marche des négociations. Cela suppose enfin que côté russe, on trouve un sens à ces négociations, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Quels pourraient être les intermédiaires facilitant le retour à la paix entre Moscou et Kyiv ?

Différents intermédiaires se sont manifestés depuis le 24 février 2022. Mettons de côté la Biélorussie, qui est considérée par Kyiv comme cobelligérante. D’abord il y a des intermédiaires qui sont de simples messagers, considérés comme légitimes par les belligérants. C’était le cas des Israéliens lors des premières semaines du conflit quand l’ancien Premier ministre Naftali Bennett transmettait des messages entre les deux pays et appelait à la fin des combats. D’autres intermédiaires veulent se positionner comme médiateurs. C’est le cas de la Turquie, qui rappelle régulièrement qu’elle est prête à accueillir à tout moment des pourparlers de paix, comme ceux qui se sont tenus le 29 mars 2022 à Istanbul. Ankara a aussi facilité en juillet 2022 la conclusion de l’accord céréalier, dont Moscou s’est retirée en juillet 2023. Voir signer sous leur égide une cessation des hostilités en Ukraine, sans parler d’un accord de paix — aujourd’hui hors d’atteinte —, serait pour les Turcs une victoire politique et diplomatique majeure, ce qui n’est pas forcément souhaitable pour les Russes.

Puis il y a des médiateurs issus du « Sud global ». Ces États tiennent à rester en dehors du conflit, comme par exemple les Émirats arabes unis, l’Inde ou l’Arabie saoudite, qui ont pu jouer un rôle de facilitateur. Des pourparlers ont été accueillis à Djeddah. Des libérations et échanges de prisonniers entre Russes et Ukrainiens ont eu lieu par leur entremise. Sans adhérer au narratif de l’un ou de l’autre des belligérants, certains de ces pays pourraient s’impliquer davantage et offrir le moment venu une médiation. En Occident, peu de pays peuvent prétendre jouer publiquement ce rôle ; même la Suisse a perdu sa légitimité de médiateur et sa neutralité aux yeux des Russes. Seul le Saint-Siège pourrait peut-être abriter des pourparlers, et encore.

Qu’en est-il du projet de paix chinois ?

Le plan chinois n’a jamais été en tant que tel un projet de paix. Il correspond plutôt à des considérations générales de Pékin sur les modalités qui devraient présider à un cessez-le-feu. Ce n’est pas une feuille de route, ce sont de grands principes qui n’ont d’ailleurs pas forcément plu aux Russes, ni même aux Ukrainiens. Ce document n’a pas réellement vocation à servir de base pour de potentielles négociations d’armistice, c’était surtout un moyen pour Pékin de faire taire les critiques qui accusaient les Chinois de soutenir les Russes. Et de pointer du doigt les Occidentaux qui n’ont proposé aucun texte. 

Quelles seraient les concessions à faire de part et d’autre dans le cas d’un accord de paix ?

La cessation des hostilités reflètera le rapport de force sur le champ de bataille et entérinera de facto une nouvelle réalité territoriale. Elle pourrait intervenir si les deux parties épuisent leurs ressources matérielles, militaires, et financières et n’ont plus d’autres choix que de négocier. Cette phase pourrait encore se produire si l’un des deux belligérants connait un effondrement. Il y aura alors un vainqueur net et un perdant net, bien que pour l’instant rien ne présage d’un tel scénario. 

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