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L’industrie française peut-elle renaître ?

La France fait figure d’exception industrielle dans les grands pays européens avec un poids de l’industrie manufacturière plus faible qu’en Allemagne ou en Italie (10,4 % du PIB contre respectivement 20,4 % et 15,7 % en 2022 selon les données de l’OCDE (1)) et une balance commerciale largement plus déficitaire que les autres pays membres (190 milliards d’euros de déficit contre une balance excédentaire de 79,1 milliards d’euros pour l’Allemagne et de 63,9 milliards d’euros pour les Pays-Bas selon les données Eurostat de 2022 (2)). Devant ce constat et les pénuries induites par la pandémie de la COVID-19 et la guerre en Ukraine, les appels à réindustrialiser se sont multipliés et l’industrie est devenue désormais une préoccupation partagée par tous les partis politiques.

Le gouvernement français a également pris une série de mesures en faveur de l’industrie. Dans l’urgence de la pandémie, il a défini le plan de relance qui a permis de financer de nombreux investissements industriels, notamment réalisés par des PME (petites et moyennes entreprises) et des ETI (entreprises de taille intermédiaire) françaises, mais il a également poursuivi la réduction de la fiscalité avec la baisse des impôts de production. Par la suite, il a défini le programme « France 2030 » ou encore la « loi industrie verte ». L’Union européenne a également fait évoluer sa doctrine en matière de politiques industrielles avec l’évolution du règlement sur les aides d’État, le volet industriel du Green Deal ou encore le Critical Raw Materials Act.

Si elle est au cœur des débats, la réindustrialisation n’est pour autant pas toujours clairement définie. Elle consiste en effet à redévelopper les activités industrielles d’une région ou d’un pays qui ont subi une désindustrialisation, ce qui se traduit par une augmentation du poids de l’industrie dans le PIB. Il est également possible de considérer d’autres chiffres comme le nombre d’emplois industriels ou l’indice de la production industrielle. Mais derrière cette notion de réindustrialisation se cachent différentes dynamiques qu’il est intéressant de considérer. Au regard de la diversité des dynamiques et des représentations autour du mot « réindustrialisation », il est donc préférable de parler de « renaissance industrielle ».

Maintenir et développer l’industrie existante

La première dynamique est celle du maintien et du développement du tissu industriel existant qui a été fragilisé par plusieurs décennies de délocalisation et de désindustrialisation, la concurrence internationale — notamment sur les produits bas et milieu de gamme — et la récente crise énergétique qui a fortement touché la structure de coûts des entreprises. De nombreuses entreprises sont également confrontées à des enjeux de modernisation, de numérisation et de décarbonation de leurs procédés de production, les obligeant à de lourds investissements. Le plan de relance leur a permis de réaliser certains investissements dans de nouvelles machines et dans la robotisation, mais l’effort doit être poursuivi avec le soutien public à travers des programmes tels que « Rebond industriel », porté conjointement par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), la Banque publique d’investissement (BPI) et la Banque des Territoires (3), des dispositifs régionaux ou de l’ADEME (fonds chaleur par exemple). La diversification des produits et marchés est également un enjeu pour de nombreuses PME et ETI, en particulier pour celles fortement dépendantes de l’industrie automobile. Elle nécessite souvent un investissement dans l’outil de production pour répondre à ces évolutions, avec parfois le passage d’un outil capable de produire des moyennes et grandes séries à un outil capable de produire des petites séries tout en conservant les performances industrielles et économiques de l’entreprise. La coopération entre les entreprises, mais également avec d’autres acteurs comme le monde de la recherche, les start-up ou le monde de l’économie sociale et solidaire est une voie trop peu explorée actuellement, alors qu’elle permettrait la mutualisation de moyens, de remonter une chaîne de valeur ou encore d’augmenter la capacité d’innovation. À titre d’exemple, il est possible de citer la coopération entre plusieurs entreprises de la métallurgie autour de l’impression additive dans le cadre d’une co-entreprise appelée 3D Métal Impression à Charleville-Mézières (08) dans les Ardennes. Six fonderies et un bureau d’études se sont associés dans le cadre de ce projet en 2019 avec le soutien de l’État et de l’UIMM. Cette démarche est clé, en particulier pour le secteur de la fonderie qui est confronté à de nombreuses évolutions et qui est une filière centrale de ce territoire. 

La mise en avant de grands projets de localisation de nouvelles activités (gigafactories) et de relocalisation (médicaments) a tendance à occulter dans le débat public l’existence de ces entreprises et leurs besoins spécifiques. Si des aides ont été proposées, les défis auxquels elles sont confrontées sont majeurs et complexes. L’enjeu pour ces entreprises est d’avoir une demande soutenue pour les produits français, ce qui nécessite de leur part : qualité, réactivité, capacité à répondre aux évolutions de la demande, etc.

À propos de l'auteur

Anaïs Voy-Gillis

Docteur en géographie de l’Institut français de géopolitique, chercheuse associée au Centre européen de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement (Université de Poitiers).

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