Magazine DefTech

Turgis & Gaillard, « Le secteur de la défense a beaucoup à gagner à recruter plus d’éléments féminins »

Portrait de Fanny Turgis, présidente du Groupe Turgis & Gaillard

Au dernier salon du Bourget, l’entreprise Turgis & Gaillard a créé l’évènement en présentant le premier drone MALE français, qui a depuis séduit les autorités ukrainiennes. Quel parcours vous a mené jusqu’à la présidence de l’une des ETI les plus innovantes de la BITD française ?

Fanny Turgis. Le drone AAROK présenté au salon du Bourget 2023 marque un tournant dans notre aventure entrepreneuriale. C’est avant tout un motif de fierté pour nous et, surtout, il incarne la concrétisation de trois années de travail réalisé par l’ensemble de notre groupe, ses ingénieurs, ses dessinateurs et l’ensemble des forces mobilisées pour ce programme d’envergure. Entièrement autofinancé, l’AAROK représente l’aboutissement concret de ce qui nous a toujours motivés, Patrick Gaillard, mon associé, et moi, à devenir des entrepreneurs.

Et cette motivation est, à ce propos, de l’ordre de la conviction, à savoir que l’innovation dans le domaine de la défense se trouve dans l’architecture et non pas uniquement dans l’innovation de système.

Nous défendons en effet l’idée que l’innovation n’est pas qu’une question de perfectionnement dans le high tech ou de systèmes ultrasophistiqués, mais réside aussi dans la solution de produits simples, disponibles sur étagères, pragmatiques, polyvalents pour les forces armées et surtout abordables. Cette philosophie partagée avec mon associé est le point de départ de notre start-up créée en 2011 et qui s’appelait AAROK (le nom du drone est un clin d’œil à cette dernière). Nous étions déjà animés par ce sentiment lorsque nous avions proposé aux armées françaises le Gerfaut, un système d’armement monté sous un avion de transport militaire C‑130 Hercules.

Le fruit de cette réflexion est le résultat de ce que nous avons appris lors de nos études universitaires de sciences politiques et de relations internationales. Nous étions alors dotés d’outils d’analyse nous permettant de mieux comprendre et anticiper les besoins des forces armées au regard de l’évolution du contexte géopolitique international. Mon passage dans l’armée française en tant que commandant de la réserve citoyenne en 2017 et auditrice à l’École de guerre en 2019 m’ont renforcée dans ces convictions personnelles.

Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontée au cours de votre carrière ?

Le défi majeur fut de réussir à se créer une place et à exister dans le milieu militaro-­industriel sans bagages intellectuels d’ingénieur. Le milieu de la défense est un domaine très spécialisé, avec ses codes et ses normes d’intégration, et il n’est pas facile d’atterrir dans ce milieu quand on est très jeune, sans argent et sans réseaux professionnels établis.

Le deuxième défi est lié au contexte de création de notre start-up. En 2011, il n’existait pas de dispositif d’aide étatique ou encore de subventions dans le domaine de la défense.

J’ajouterai aussi qu’à l’époque le monde bancaire et les investisseurs étaient très frileux à l’idée d’investir dans une jeune start-up qui demandait un soutien financier pour un projet d’armement. Je me souviens d’ailleurs d’un business angel qui avait trouvé notre projet intéressant, mais que la perspective d’une rentabilité à horizon de plusieurs années ne séduisait pas, et notre projet dérangeait clairement. Nous ressentions à l’époque cette notion d’être dérangeant, car l’armement était tabou. Depuis, les choses ont changé pour les jeunes entrepreneurs et les dispositifs étatiques permettent de faire avancer les choses dans le bon sens.

En 2011, nous avions eu la chance de rencontrer sur notre chemin d’entrepreneurs un industriel français du secteur de la défense, ARINC, qui a accepté de nous soutenir et de nous financer pendant trois ans, le temps du développement du Gerfaut.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans la profession que vous exercez aujourd’hui ?

Deux choses sont très intéressantes dans mon métier.

La première est d’avoir la chance de pouvoir être au plus près des besoins des forces armées. En tant qu’industriel, je bénéficie des retours d’expérience et des avis des militaires sur leurs équipements et cela me permet de mieux prendre en compte leurs besoins. L’AAROK est à ce titre une bonne illustration puisque ce drone bénéficie du retour d’expérience et des besoins des forces armées depuis que le MQ‑9 Reaper américain est déployé sur notre territoire.

L’autre aspect intéressant, c’est la liberté d’orienter les choix de développement stratégique du groupe, et la possibilité de prendre la décision de concevoir et fabriquer des produits militaires dans un environnement très spécifique. Le fait d’être une ETI permet une grande souplesse dans les décisions et une réactivité immédiate.

0
Votre panier