Quelle est aujourd’hui la stratégie d’Israël face au Hamas ? Et quelle est la stratégie à moyen terme ?
La stratégie israélienne est simple et se compose de trois points. Le premier objectif est l’éradication de la branche armée du Hamas, au moins à Gaza. Le deuxième est de récupérer un maximum d’otages, vivants au mieux, décédés au pire, par le biais d’une ou plusieurs opérations de libération, plutôt que de voir leur mort instrumentalisée sur les réseaux sociaux. Cela passe par des négociations, mais aussi le déploiement et l’infiltration de forces spéciales. Le troisième et dernier objectif consiste à rétablir la posture stratégique dissuasive d’Israël, c’est-à-dire recréer pour Tsahal (6) un rapport de force qui inquiète de nouveau les adversaires potentiels d’Israël. Comme aux premiers jours de la guerre du Kippour, l’armée avait été déstabilisée et décrédibilisée avant de retrouver une posture dissuasive.

Israël veut retirer le Hamas de l’équation palestinienne. Toutefois, il est impératif d’ensuite relancer d’une manière ou d’une autre le dossier palestinien qui doit désormais reposer sur des paradigmes différents qu’auparavant. D’un côté, Benyamin Netanyahou et son ministre de la Défense, Yoav Gallant, pensent qu’il faut réoccuper militairement et durablement la bande de Gaza pour empêcher la reproduction d’un tel événement. De l’autre côté, Benny Gantz, ministre sans portefeuille, Ron Dermer, ministre des Affaires stratégiques, et une partie de la classe politique s’opposent totalement à cette idée. Sous pression des États-Unis et de l’opinion publique, ces derniers refusent de maintenir une mobilisation quasi générale des soldats israéliens sur le long terme, notamment pour éviter des frais très coûteux en termes d’image et d’économie. De fait, le gouvernement de Benyamin Netanyahou devra très probablement se plier à la seconde option.
Israël a conscience que la nouvelle gouvernance de Gaza devra se faire par des Palestiniens. Le questionnement est : avec quels Palestiniens ? Nous n’avons pas encore la réponse à cette question. Ce sera le sujet de négociations entre Israël, les États-Unis et un certain nombre d’acteurs régionaux comme l’Égypte, la Jordanie, le Qatar, les Émirats arabes unis et la Turquie, dont chacun a son candidat pour la gouvernance palestinienne. Cette dernière se heurte à un double obstacle. D’abord, Benyamin Netanyahou et sa coalition en Israël refusent catégoriquement tout dialogue avec les Palestiniens. Ensuite, la présence de Mahmoud Abbas, le président de l’Autorité palestinienne, est totalement délégitimée, ce qui implique de le pousser à quitter sa fonction pour organiser une élection palestinienne. Paradoxalement, les services de sécurité palestiniens de l’autorité d’Abbas sont les meilleurs alliés des services de sécurité israéliens en Cisjordanie, apeurés de perdre le pouvoir et peut-être la vie. Cependant, on imagine mal comment la situation peut évoluer tant que Benyamin Netanyahou et son gouvernement extrémiste sont au pouvoir et tant que Mahmoud Abbas reste officiellement président de l’Autorité palestinienne.
Qu’en est-il de l’après ?
Israël n’acceptera pas de cessez-le-feu tant que le Hamas sera en mesure de reprendre le contrôle de la bande de Gaza. Les dirigeants israéliens veulent donc détruire toutes les structures militaires du Hamas et éliminer tous les combattants de la branche armée dans la bande de Gaza. Tsahal n’arrêtera pas son offensive tant que tous les otages ne seront pas libérés. Que ce soient les États arabes, les dirigeants israéliens, les acteurs régionaux, les États-Unis, les Européens et même les Russes et les Chinois : tout le monde comprend la nécessité de relancer le dossier israélo-palestinien et de trouver d’autres options pour clore le dossier. La difficulté est pour l’instant liée au calendrier.
Il s’agit de s’assurer qu’au moment où le gouvernement israélien aura trouvé un narratif qui lui permettra d’affirmer qu’il a gagné et qu’il cessera les hostilités de manière durable à Gaza, une autorité intermédiaire puisse prendre le relais qui ne soit pas le Hamas pour assurer les fonctionnalités dont un peuple a besoin — la reconstruction des territoires, le rétablissement des services publics comme l’eau, l’électricité, l’approvisionnement en nourriture et la sécurité — dans le but d’éviter le soulèvement d’autres mouvements encore plus radicaux pouvant prendre le relais du Hamas. Cela pourra se faire uniquement avec un retour d’une Autorité palestinienne crédible et non inféodée à Mahmoud Abbas, qui impliquera de reprendre une partie de l’administration palestinienne contrôlée par le Hamas, pour éviter de reproduire les erreurs commises en Irak en 2003. En clair, l’objectif est de rétablir un système fonctionnel comme les Irakiens l’ont fait quand ils ont repris Mossoul. La seule différence est que Daech a contrôlé Mossoul moins de trois ans, alors que le Hamas contrôle la bande de Gaza depuis dix-huit ans.
Cela implique également l’investissement dans la bande de Gaza des États arabes modérés qui ont normalisé leurs relations avec Israël et qui ont une influence dans le monde arabe. Cela passe par l’envoi de policiers, d’agents de renseignement ou d’agents de sécurité, pour mettre en place une administration provisoire et transitoire arabe. Ces États pourraient être l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite ou le Maroc. Ce processus prendra des années, mais il permettra un retour progressif à la vie normale.