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Économie de défense. All-volunteer force (AVF) ou les limites d’une armée professionnalisée en temps de guerre

La guerre en Ukraine a rappelé l’importance de la masse pour les forces armées, non seulement en munitions et matériels, mais aussi en soldats. Il n’est pas possible de tenir un front de 1 200 km avec des effectifs réduits, uniquement grâce à la technologie. Or beaucoup d’armées, notamment au sein de l’OTAN, ont abandonné la conscription. Ce conflit va-t‑il sonner le glas des armées purement professionnelles ? Faut-il remettre en place une forme de conscription afin d’atteindre un niveau approprié d’effectifs ?

Les faits parlent d’eux-mêmes : le nombre de blessés et de tués dans les armées russe et ukrainienne est équivalent à l’effectif total des armées françaises. Le retour de la guerre interétatique remet en question le choix du passage à des armées purement professionnelles, ou All-volunteer force (AVF), qui sont certes plus efficaces, mais dont l’action est limitée par leur taille réduite du fait d’un coût des engagés très supérieur à celui des appelés.

D’ailleurs, serait-il possible d’atteindre la masse avec une armée purement professionnelle ? Comme le soulignait récemment le chef d’état – major de l’armée de Terre, la défense fait face à des difficultés de recrutement. Son effectif réel est structurellement inférieur à celui théorique autorisé par le Parlement. Même en temps de paix, les armées ont un problème d’attractivité (1) qui ne leur permet pas de tenir des objectifs de recrutement pourtant modestes.

Il y a certes une quinzaine de candidats pour un poste d’officier quand la fonction publique en reçoit une douzaine pour les postes de catégorie A (hors enseignement), mais ceci reflète surtout une sélection via les concours des grandes écoles. Pour les sous – officiers, le nombre tombe à 2,7 candidats contre 6,1 en catégorie B. Pour les militaires du rang, il y a tout juste 1,3 candidat contre 6,5 en catégorie C. Il faut aussi considérer le fait qu’un quart des candidats est recalé pour inaptitude médicale…

Quand il y a à peine plus d’un candidat pour un poste, les armées n’ont pas vraiment le choix pour s’assurer qu’elles recruteront la personne adaptée au poste à pourvoir. Il peut même arriver qu’elles renoncent à pourvoir un poste. La professionnalisation des armées représente une condition nécessaire pour une défense efficace, mais, comme le montre la guerre en Ukraine, ce n’est pas une condition suffisante, car elle ne permet pas d’obtenir le nombre de militaires nécessaire en cas de guerre.

Accroître fortement les effectifs constituerait un défi majeur faute de volontaires, un problème déjà partagé ces derniers mois par les armées en Allemagne, au Royaume – Uni et même aux États – Unis. Les pays anglo – saxons ont cherché à améliorer l’attractivité des métiers militaires par des rémunérations plus élevées et des bonus, mais sans parvenir pour autant à atteindre les objectifs d’engagement, ou uniquement à un coût très élevé pour des spécialités indispensables. Construire une armée professionnelle de masse serait difficilement atteignable et nécessiterait des budgets exorbitants.

La conscription peut-elle constituer une approche alternative ? Certains le pensent. De fait, la conscription semble répondre à deux problèmes : la masse et le recrutement. D’une part, les armées auraient automatiquement accès à l’ensemble d’une classe d’âge, avec la possibilité d’élargir la conscription à tous les genres comme le font déjà certains pays. D’autre part, elles ne seraient plus confrontées à la concurrence des employeurs civils sur le marché du travail, comme c’est le cas pour le recrutement de soldats professionnels, la conscription constituant une forme de travail forcé.

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