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Les démocraties occidentales face à la globalisation des luttes informationnelles numériques

Les démocraties occidentales du XXIe siècle sont aujourd’hui en proie au double bouleversement de la fragmentation de l’ordre international et de l’espace informationnel. Entre ingérences étrangères et « terroristes de l’intérieur » (1), comment les démocraties assiégées sont-elles à même de hiérarchiser ces menaces multidimensionnelles et d’y faire face ?

Les enjeux informationnels de l’ère numérique sont à la fois globalisés et ciblés. Ils recoupent les enjeux géopolitiques, le rôle des propagandes russes ou chinoises ou leurs avatars, comme celle de Wagner en Afrique, les conflits en Ukraine ou au Proche-Orient, et sont marqués par des narratifs antagonistes traduisant une appétence de plus en plus marquée pour les pays du Sud global. Ils recoupent également les enjeux sociétaux souvent clivants, qu’ils soient électoraux, de santé publique ou liés au changement climatique. Ces derniers sont caractérisés par la polarisation croissante des opinions publiques, structurée par différentes formes de communautarismes, qu’ils soient ethniques, religieux, genrés, etc.

Dans ce contexte, les démocraties pluralistes, qui favorisent la libre circulation des hommes et des idées et érigent la liberté d’expression en principe fondateur de leur modèle politique, sont rendues particulièrement vulnérables, par cela même qui avait pu favoriser la force d’attraction des démocraties occidentales lors des précédentes batailles idéologiques, notamment celle de la guerre froide. Dans ce paysage fragmenté de l’espace informationnel mondial, les outils, les acteurs et les luttes sont de plus en plus asymétriques et les stratégies de réponses et de résilience des États démocratiques assiégés de toute part sont parfois asynchrones.

Quels sont donc les principaux enjeux auxquels sont confrontés les démocraties occidentales face aux nouvelles formes de luttes informationnelles ? Et quels types de stratégies de réponse ont-elles mis en œuvre pour tenter de les endiguer seules ?

Les démocraties face aux nouveaux écosystèmes de propagande

La plupart des pays occidentaux ont abandonné leurs mesures défensives contre les attaques informationnelles soviétiques après la guerre froide, à l’exception de certains États d’Europe centrale, nordique et orientale. Cette décision les a laissés vulnérables lorsque la nécessité de se défendre à nouveau s’est présentée. La prise de conscience des vulnérabilités des États démocratiques face aux attaques informationnelles de la dernière décennie a évolué en trois temps forts :

Tout d’abord, en 2014, l’annexion de la Crimée par la Russie et la déstabilisation du Donbass en Ukraine ont mis en lumière la notion de guerre hybride, comprenant une composante majeure de guerre informationnelle. Cette situation a graduellement sensibilisé les États aux fragilités de leurs défenses face à de telles menaces, notamment dans les pays ayant des liens historiques ou linguistiques particuliers avec la Russie, comme les pays baltes.

Ensuite, la vulnérabilité des grandes puissances occidentales est apparue criante lors de l’ingérence russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016. Puis en France en 2017 avec l’épisode des Macronleaks. Cette ingérence a démontré que même les acteurs internationaux les plus influents n’étaient pas à l’abri de ces manipulations, et présentaient des capacités de résilience inégales. En conséquence, à partir de 2017, de nombreux pays ont adopté des mesures — que ce soit sur le plan organisationnel, législatif ou éducatif — pour renforcer leur capacité à contrer les manipulations de l’information.

Enfin, cette évolution a consisté à reconnaître que la menace n’était pas uniquement d’origine russe, ni strictement étatique. La Chine est désormais au centre des préoccupations, et la question de son influence, ainsi que celle des acteurs non étatiques tels que les mouvements populistes ou complotistes et les entreprises spécialisées dans la désinformation, est devenue une préoccupation mondiale. Cette évolution a renforcé la prise de conscience globale de la nécessité de se prémunir contre ces manipulations de l’information, touchant des pays du monde entier, bien que leur degré de vulnérabilité puisse varier. 

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