Des menaces informationnelles de plus en plus interconnectées
Dans l’espace numérique mondialisé, ces menaces dans leur ensemble sont à la fois distinctes et interconnectées. Elles fonctionnent comme des écosystèmes susceptibles de s’entrecroiser. La notion d’« écosystème de propagande », employée notamment par le Global Engagement Center du département d’État américain, fait référence à un ensemble complexe de ressources et de mécanismes qui sont utilisés pour propager de manière systématique et souvent biaisée des informations, des idéologies ou des narratifs spécifiques dans le but d’influencer l’opinion publique, de manipuler la perception du public ou de servir des intérêts particuliers. Ces écosystèmes englobent divers acteurs étatiques ou non étatiques, plateformes, médias, organisations et individus qui collaborent ou agissent de manière coordonnée pour diffuser des messages de propagande. Ils peuvent inclure des médias contrôlés par l’État (RT, Sputnik, CGTN), des groupes politiques, des trolls sur les réseaux sociaux, des médias alternatifs, des campagnes de désinformation en ligne, des campagnes de lobbying, etc.
Les écosystèmes de propagande de l’ère numérique exploitent souvent des techniques de persuasion, de manipulation psychologique, de désinformation, de diffusion sélective de l’information et de discours polarisants pour influencer les perceptions, les croyances et les comportements des individus. Ils peuvent être utilisés à des fins politiques, idéologiques, économiques, militaires ou autres. La propagation de fausses informations et la création d’une atmosphère de confusion font partie intégrante de ces efforts de propagande visant à atteindre des objectifs spécifiques. Pour surveiller, comprendre les écosystèmes de propagande, lutter contre la désinformation et promouvoir la transparence dans l’espace public, des démocraties pluralistes mettent en œuvre des stratégies de réponses à différentes échelles : nationale, européenne, internationale, civiles ou militaires.
Or, les attaques informationnelles caractérisées par la vitesse de leur amplification sont devenues de plus en plus sophistiquées au gré des évolutions technologiques dites de rupture, comme l’intelligence artificielle (IA).
Les contre-mesures ou les stratégies de réponse des États
Les États ont réagi face à la menace des manipulations de l’information en tentant de décloisonner leurs services institutionnels dédiés, d’adopter une approche plus globale de ces enjeux. Ils ont créé des comités ou des réseaux pour coordonner leurs efforts dans les domaines de la défense, de la diplomatie, de la culture, de l’éducation et de la justice. Certains pays ont alloué des budgets spécifiques et créé des équipes formées à la lutte contre les manipulations de l’information.
Pour faire la lumière sur les cas avérés d’ingérence, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont mené des enquêtes publiques, sensibilisant ainsi la population. Ces enquêtes ont été menées par les services de police judiciaire et les parlements, produisant des rapports détaillés. Plusieurs États ont adopté une législation pour lutter contre les manipulations de l’information. L’Allemagne a adopté une loi en 2018 obligeant les plateformes numériques à supprimer rapidement les messages « évidemment illégaux ». La France a adopté une loi en 2018 contre la manipulation de l’information pendant les périodes électorales. D’autres pays ont également envisagé des projets de loi similaires.
Les États démocratiques d’Europe ou d’Asie, de Paris à Singapour, ont entrepris diverses initiatives pour sensibiliser la population aux dangers des manipulations de l’information. Cela comprend la formation des fonctionnaires et des partis politiques, la création de sites web dédiés, la distribution de brochures, l’intégration de l’éducation aux médias dans les programmes scolaires, le soutien financier à la société civile et à la recherche, ainsi que la mise en place de mécanismes permettant au public de signaler de fausses informations.
En ce qui concerne la régulation des médias, certains États ont forcé la transparence quant aux relations financières des médias avec des États étrangers. Par exemple, les États-Unis ont une législation datant des années 1930 obligeant les entités financées par un agent étranger à se présenter comme telles. En revanche, d’autres pays ont choisi d’interdire certains médias ou de renforcer le pouvoir des autorités de régulation des médias, ce qui a soulevé des préoccupations concernant la liberté de la presse.
Ces différents niveaux de réaction juridiques, politiques ou culturels face aux nouvelles menaces informationnelles et de réponses ont révélé des capacités de résilience inégales. Certains États démocratiques ont notamment développé leur appareil de défense informationnel en favorisant la militarisation des contre-mesures et en adoptant une posture plus offensive en matière d’OI (Opérations d’Information) ou de guerre informationnelle.
La militarisation des réponses aux menaces informationnelles
La question de la militarisation des contre-mesures et de l’adoption d’une posture plus offensive en matière de guerre de l’information (OI) varie d’un pays à l’autre en fonction de leurs politiques nationales, de leurs besoins de sécurité et de leurs capacités technologiques.
Ainsi, les États-Unis ont développé un appareil de défense informationnelle sophistiqué par le biais de plusieurs agences gouvernementales, notamment la Cyber Command, la National Security Agency (NSA) et le Department of Homeland Security (DHS). Ils ont également adopté une posture plus offensive en matière de guerre de l’information pour contrer les menaces cybernétiques et les campagnes de désinformation. Israël, connu pour ses capacités avancées en matière de cybersécurité et de guerre de l’information, a développé des compétences pour se défendre contre les attaques informatiques et mène également des opérations offensives pour contrer les menaces potentielles, notamment conte l’Iran. Le Royaume-Uni a investi dans le renforcement de ses capacités de cyberdéfense et de guerre de l’information. Il a établi le GCHQ (Government Communications Headquarters) pour mener des opérations de renseignement et de cyberdéfense. La France a créé une agence dédiée à la cybersécurité, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI), qui travaille à la protection des infrastructures critiques et à la réponse aux cybermenaces. La France a également adopté une posture plus offensive pour contrer les attaques informatiques. Enfin, le Canada a investi dans le renforcement de ses capacités de cybersécurité et travaille à la protection de ses infrastructures critiques contre les menaces informatiques. Le pays a également élaboré une stratégie de sécurité nationale qui inclut des éléments de guerre de l’information.