Magazine Les Grands Dossiers de Diplomatie

Le Caucase est-il à la veille de nouveaux conflits armés ?

À la même période que Pouchkine, Mikhaïl Iourievitch Lermontov (avec son Prisonnier du Caucase de 1828) et, dans le royaume de Piémont-Sardaigne, l’écrivain et peintre savoyard Xavier de Maistre (avec ses Prisonniers du Caucase écrits en 1825) font tous deux de ces régions des descriptifs proches de ce que pouvait écrire Pouchkine. Les conclusions semblaient aller de soi : les régions caucasiennes étaient peuplées de tribus sauvages et belliqueuses et, finalement, seul l’ordre russe pouvait mettre au pas les plus enragés d’entre eux et instaurer un régime de relative paix civile (5).

Cette dimension historique et littéraire doit être complétée par un aspect économique qui marque aussi les régions caucasiennes depuis le XIXe siècle. Le Caucase a été la deuxième région dans le monde à produire du pétrole au XIXe siècle après les États-Unis. Le Caucase et ses ressources ont été un objectif stratégique majeur durant les deux guerres mondiales. La compagnie Shell est née dans le Caucase. Cette région est également riche en métaux et c’est le point de passage de gazoducs et d’oléoducs amenant vers la Méditerranée et la mer Noire les ressources du Caucase, de la Caspienne et de l’Asie centrale. Le Caucase fait l’objet d’un grand jeu géoéconomique relancé par les guerres en Ukraine et en Arménie.

D’ailleurs, en 2023, le télescopage des stratégies géopolitiques et géoéconomiques mondiales se fait au Caucase. Autour des richesses qui entourent la Caspienne, quatre stratégies se chevauchent : celles des grandes puissances, des importateurs, des exportateurs et des pays de transit. Pour les grandes puissances, le pétrole et son transport restent des leviers géostratégiques servant une vision mondiale. La Russie cherche ainsi à se dégager d’un syndrome d’encerclement renforcé par des embargos liés à la crise ukrainienne et elle veut retrouver une influence grignotée sur son flanc sud. Les guerres répétées (Ukraine, Géorgie) s’inscrivent dans ce contexte long d’offensives de Moscou pour reprendre pied sur son ancien pré-carré. En face, les États-Unis, dont l’influence a percé dans plusieurs pays (notamment en Azerbaïdjan et en Géorgie, créant ainsi un corridor entre mer Caspienne et mer Noire), tentent de freiner ce retour d’influence en soutenant massivement le régime ukrainien contre la Russie. Enfin, la Chine ne cesse de monter en puissance en arrière-plan, intéressée par les ressources énergétiques et minières qui abondent dans la région.

Des conflits gelés qui peuvent se rallumer

Deux exemples doivent être mis en valeur. L’Ossétie du Sud a fait sécession de la Géorgie en 1992 et s’est autoproclamée république indépendante. La Géorgie, l’ONU et la plupart de ses États membres ne reconnaissent pas cette indépendance et considèrent l’Ossétie du Sud comme un des territoires géorgiens occupés par la Russie avec l’Abkhazie. En août 2008, la Géorgie déclenche une offensive armée pour reprendre le contrôle de l’Ossétie du Sud. Les forces armées russes, intervenues pour soutenir l’Ossétie du Sud, contre-attaquent avec succès, repoussant l’armée géorgienne hors de l’Ossétie du Sud et occupant même temporairement une partie du territoire géorgien.

De même qu’en Ossétie du Sud, la guerre d’Abkhazie est un conflit postsoviétique armé qui opposa principalement, d’un côté, l’armée russe et les séparatistes abkhazes et, de l’autre côté, l’armée géorgienne de 1992 à 1993. Elle est le résultat de la proclamation d’indépendance de l’Abkhazie par les séparatistes et conduit les Géorgiens à se retirer du territoire abkhaze. La guerre a atteint un pic à la suite de la prise de la ville de Soukhoumi par les indépendantistes abkhazes le 27 septembre 1993.

Bien évidemment, dans les deux cas, la Géorgie n’est pas de taille à reprendre à la Russie ces deux territoires. Malgré ses efforts, la Géorgie n’a que peu de chance d’être soutenue par les pays membres de l’OTAN, à l’heure où même l’aide à l’Ukraine suscite de nombreux questionnements en Europe, compliqués par la difficulté des pays occidentaux à ravitailler l’Ukraine en munitions et équipements dans une guerre d’attrition dont personne ne voit aujourd’hui vraiment la fin sans revenir à la table des négociations et certainement obliger l’Ukraine à renoncer à certains de ses territoires perdus.

0
Votre panier