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Artillerie. Défaite en rase campagne pour l’industrie européenne ?

S’il est une des leçons majeures de la guerre d’Ukraine, c’est que l’artillerie demeure une composante indispensable des forces, et que les formats nationaux en la matière ont été taillés trop juste. C’est certes le cas concernant les munitions, mais aussi pour les systèmes de tir eux-­mêmes. Or, il faut constater que la physionomie du marché européen a considérablement évolué en quelques mois – au fil, en fait, de la guerre elle-même.

Les plus gros volumes de matériels d’artillerie européens donnés à l’Ukraine étaient en stock ou n’étaient plus produits : environ 150 M‑109 ; 43 Dana (dont 30 achetés d’occasion par l’Ukraine) ; 32 AS‑90 ; un nombre inconnu, mais sans doute supérieur à 50, de 2S1 Gvozdika (122 mm) ; 18 TR‑F1 achetés d’occasion à la France ; un nombre inconnu de FH‑70 ; plus de 80 pièces tractées de 122, 130 et 152 mm et environ 150 pièces de 105 mm. Il faut y ajouter 33 lance – roquettes M‑270, et plus de 60 BM‑21, RM‑70 et APR‑40. Le paradoxe est que ces plus de 600 pièces, dont une partie est considérée comme obsolète, se sont avérées parfaitement adaptées – du moins, tant qu’elles n’étaient pas affectées par la durée de vie de leurs tubes.

Les fers de lance des années 2000 n’emportent pas la mise

Les systèmes européens récents, c’est-à‑dire toujours produits, ont d’abord fait l’objet de dons, mais n’ont pas nécessairement décroché de contrats majeurs, que ce soit en Ukraine ou ailleurs. L’attention portée au CAESAR semblait porteuse de nombreux contrats, tant sur châssis 6 × 6 que sur châssis 8 × 8. Avec 49 obusiers transférés par la France et le Danemark, il a été l’un des éléments structurants de l’artillerie ukrainienne – n’enregistrant par ailleurs que trois pertes (1). Mais concrètement, les nouvelles commandes ont été relativement limitées et seule une partie est liée au nouveau contexte international. KNDS enregistre ainsi 52 commandes liées aux planifications conduites avant la guerre, avec 33 CAESAR NG pour la France en février 2022, et 19 pour la Belgique en juin de la même année. Les commandes liées à des remplacements de matériels donnés à l’Ukraine et, plus généralement au nouveau contexte, sont de 18 pour la Lituanie en juin 2022 ; 10 pour la Tchéquie en décembre (en plus des 52 déjà commandés en 2020) ; et les 30 commandes françaises en compensation des dons (juillet 2022 et janvier 2023) (2). L’Ukraine en recevra par ailleurs six nouveaux exemplaires au terme de la visite sur place d’une délégation française. L’obusier est également proposé dans le cadre du programme de remplacement des AS‑90 britanniques, mais la concurrence sera rude.

Les 28 PzH2000 allemands, italiens et néerlandais livrés à l’Ukraine ne sont qu’une partie des parcs européens en service (plus de 300), mais la guerre n’a entraîné que des commandes limitées. Les 24 commandés par la Hongrie l’ont été en 2018 et les obusiers croates et lituaniens étaient de seconde main, seuls 12 exemplaires ayant été commandés en mai 2023 par Berlin en compensation des dons, 16 autres étant en option. En juillet 2022, l’Allemagne autorisait l’Ukraine à en acheter 100, mais aucun contrat n’a été conclu par la suite. Talonnant l’obusier allemand, le Zuzana a été acheté à 24 exemplaires – huit par l’Ukraine et 16 offerts par l’Allemagne, la Norvège et le Danemark – mais n’a pas engeristré de nouvelle commande.

L’Ukraine a également reçu 18 Krab polonais, mais a également passé ce qui s’avère être sa plus grosse commande de matériel d’origine européenne jusqu’ici, avec 54 obusiers qui semblent avoir été pour partie déstockés dès lors que 21 exemplaires étaient endommagés ou détruits au 26 septembre (3). Du reste, Varsovie a commandé 48 nouveaux Krab, avant de basculer vers des commandes massives en Corée du Sud. Reste le cas de l’Archer suédois, directement bénéficiaire du contexte international. D’une part, Stockholm en commandait 48, sur châssis 8 × 8, en septembre 2023, afin de procéder à la remontée en puissance de son artillerie – huit engins en 6 × 6 étant promis à l’Ukraine. D’autre part, le Royaume – Uni en commandait 14 d’occasion afin de remplacer les AS‑90 donnés à Kiev ; sachant que d’autres commandes pourraient suivre dans le cadre de son programme Mobile fires platform. Par ailleurs, la Suisse l’a également shortlisté pour le programme de remplacement de ses M‑109.

Les nouveaux venus

Reste également le cas d’un système qui n’avait pas encore été ni acheté ni mis en service opérationnel : l’AGM (Armored gun module), présenté pour la première fois en 2008 par KMW (actuel KNDS) et qui, comme l’Archer, est un système automatisé, son équipe restant en cabine de conduite, d’où sont opérés les tirs. Le module de tir est doté d’un canon de 155 mm/52 Cal. et de 30 obus immédiatement utilisables. Il peut être positionné sur différents types de plateformes à roues ou chenillées : Ascod ; Boxer 8 × 8 ; le Boxer chenillé qui avait été présenté au dernier salon Eurosatory ; Piranha 10 × 10 ; ou encore camion Iveco 8 × 8. Il a été commandé pour la première fois par l’Ukraine, à raison de 18 exemplaires, sur châssis Boxer 8 × 8, sous la désignation de RCH‑155. Le système est également engagé dans plusieurs compétitions européennes en cours : en Allemagne (120 exemplaires), en Suisse (132 exemplaires) et au Royaume‑Uni.

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