Il est loin le temps où l’Asie du Sud-Est était présentée comme un modèle de démocratisation. Les alternances ne sont plus à l’ordre du jour. Ce sont plutôt les vieilles structures politiques, souvent liées aux dynasties familiales et aux milieux d’affaires (Cambodge, Philippines, Singapour, Thaïlande), à l’armée (Thaïlande, Birmanie) et au nationalisme ethnico-religieux (Malaisie) qui ont le vent en poupe.
Pendant une dizaine d’années, du milieu des années 1990 au milieu des années 2000, l’Asie du Sud-Est avait plus ou moins réussi à développer et à renforcer ses processus démocratiques tout en accélérant son intégration régionale tant au niveau politique qu’économique. Cependant, dès le milieu des années 2000, bien avant la montée des populismes et des nationalismes en Europe, elle s’est engagée dans un mouvement de reflux démocratique. Aujourd’hui, à l’exception du Timor-Leste, qui devrait finalement devenir membre de plein droit de l’ASEAN (1) en 2025, l’idée de démocratie libérale au mieux stagne mais plus souvent recule dans la région.
L’Indonésie, considérée un temps comme la « troisième démocratie mondiale », ne fait pas exception. L’actuel président Joko Widodo, pourtant perçu comme un « homme du peuple », qui doit quitter le pouvoir l’année prochaine, n’a pas été en mesure de stopper l’érosion des libertés citoyennes engagée depuis la présidence de son prédécesseur, le président Susilo Bambang Yudhoyono (2004-2014). La pression des élites conservatrices fait doucement et par à-coups glisser le pays sur la pente savonneuse de l’« illibéralisme politique ». L’élection probable à la présidence, l’année prochaine, de l’actuel ministre de la Défense, Prabowo Subianto, ne ferait qu’accélérer le processus.
Une parenthèse démocratique qui se referme
La greffe démocratique sud-est-asiatique n’a pas pris. La parenthèse se referme d’autant plus vite que l’Occident et notamment les États-Unis ne font plus rêver. Les modèles alternatifs proposés par la Chine et la Russie semblent d’autant plus intéressants que les élites d’Asie du Sud-Est ne souhaitent ni se renouveler ni se diversifier. Elles cherchent avant tout à asseoir leur pouvoir et à renforcer leurs propres intérêts. Face à un Occident qui a perdu de sa superbe, la démocratie est de plus en plus perçue comme illusoire et ineffective. Si elle est encore ardemment désirée par certains, c’est surtout par la jeunesse, comme l’ont très bien illustré les élections législatives qui se sont tenues au printemps en Thaïlande. Or la région vieillit. Plusieurs pays d’Asie du Sud-Est sont déjà des « sociétés vieillissantes » selon le critère de classification retenu par l’Organisation mondiale de la santé et les Nations Unies (2). C’est particulièrement le cas de de la Malaisie, de Singapour, de la Thaïlande et du Vietnam. Dans ces trois derniers pays, les personnes âgées de plus de 65 ans représentent déjà entre 7 et 14 % de la population totale. La transformation démographique est rapide. Elle s’opère à une vitesse similaire à celle du Japon mais intervient alors que le niveau de revenu par habitant reste plus faible. Or, une population vieillissante est souvent plus encline aux idées conservatrices. C’est du moins ce que nous montrent les exemples japonais et sud-coréens en Asie du Nord-Est.
Alors, si en Asie du Sud-Est on maintient des élections dans les pays où c’est la règle, c’est surtout pour conserver les apparences. Le résultat des urnes compte peu. Ce qui importe, ce sont les négociations internes et les concessions que les différents groupes d’influence peuvent passer entre eux. À ce titre, l’année 2023 pourrait être considérée comme un cas d’école.