Parmi les grandes leçons du conflit ukrainien, on retiendra sans doute longtemps la manière dont les forces navales ukrainiennes, privées de leur accès à la mer, ont réussi à acquérir la supériorité navale sur leur adversaire grâce, notamment, à l’utilisation intelligente de batteries côtières chargées de missiles antinavires. Alors que de nombreuses forces navales renouvellent leurs parcs de missiles antinavires, il est temps de faire un point sur les dernières évolutions proposées par les industriels européens dans ce domaine.
À partir des années 1950, le missile antinavire est devenu l’arme de référence pour traiter les cibles de surface. Du côté occidental, où l’allonge du feu était (et est toujours) offerte par l’aviation, on s’est dirigé vers des missiles moins encombrants que ceux des Soviétiques, mais plus agiles, discrets et précis, pouvant être emportés par des avions tactiques, des corvettes et des frégates de petit tonnage, ou encore des batteries côtières mobiles. Il en est résulté, aux États-Unis, l’indémodable Harpoon à guidage radar qui a équipé des générations entières de navires, de sous-marins et d’avions, que ce soit dans les forces américaines ou dans des dizaines de pays alliés.
Mais nombre de pays européens ont aussi entrepris de développer leurs propres missiles antinavires, que ce soit pour faire vivre une industrie locale ou pour répondre un peu mieux à leurs besoins. Certains de ses missiles imaginés au cours des années 1970, comme l’AS.34 Kormoran allemand ou le Sea Eagle britannique, ont cessé d’être produits et n’ont pas eu de successeurs. Mais d’autres engins européens apparus à la même époque, comme l’Exocet français, le RBS‑15 suédois ou l’Otomat italien, restent encore des références aujourd’hui.
Des technologies qui évoluent en continu
Si certains missiles ont su traverser les décennies, c’est avant tout parce qu’ils ont évolué constamment en adoptant de nouvelles technologies. Si la fin de la guerre froide a sonné l’arrêt des programmes de missiles antinavires de nouvelle génération (souvent supersoniques), certaines briques technologiques développées alors ont été intégrées au sein des cellules existantes, leur permettant de rester de redoutables outils de supériorité navale.
En premier lieu, l’évolution radicale de l’électronique embarquée et la numérisation des systèmes ont permis de réaliser des autodirecteurs plus performants et plus résistants au brouillage et aux leurres, grâce à des senseurs plus précis et à des algorithmes de traitement du signal plus sophistiqués. L’amélioration de l’intelligence embarquée dans les missiles, l’intégration de liaisons de données à longue distance sur les navires et les batteries côtières ainsi que l’utilisation de drones de reconnaissance navale renforcent aussi considérablement les capacités de frappe au-delà de l’horizon tout en réduisant le recours à des hélicoptères et à des avions pilotés pour le rafraîchissement des données à mi-parcours.
Pour exploiter au mieux cette capacité d’engagement lointaine, les moteurs-fusées des missiles seront remplacés par de petits turboréacteurs optimisés pour les profils de vol à haute vitesse subsonique et à très basse altitude. Là où les missiles du début des années 1980 se contentaient de quelques dizaines de kilomètres de portée, en cohérence avec les capacités de détection de l’époque, les engins actuels peuvent frapper à 180 ou 200 km, voire à plus de 300 km pour les dernières évolutions du Teseo italien et du RBS‑15 suédois. Dans le cadre d’un champ de bataille interconnecté, ces rayons d’action permettent aux navires et aux batteries côtières d’attaquer des cibles de surface situées bien au-delà de leurs propres capteurs, en se basant notamment sur des données obtenues par des satellites, des avions de patrouille, des sous-marins ou des drones.
Mais, là encore, le plus grand rayon d’action et la généralisation des liaisons de données vont ouvrir la voie à de nouvelles doctrines d’engagement. Les missiles peuvent ainsi contourner leur cible pour l’attaquer depuis un secteur moins surveillé, ou pour réaliser des attaques simultanées depuis différents vecteurs. Dans des opérations littorales, les missiles peuvent même épouser le trait de côte pour rester cachés par le relief le plus longtemps possible.