Toute cette préparation n’aurait cependant pas suffi pour que la courbe du Hamas rejoigne celle de Tsahal si les Israéliens n’avaient pas non plus fait baisser la leur. Avant le 7 octobre, le commandement militaro – sécuritaire et le gouvernement d’Israël, entre lesquels les relations sont par ailleurs plutôt conflictuelles, sont persuadés que la menace du Hamas est très réduite. Ils ont été aidés dans cette croyance par le Hamas lui – même, qui a pris soin d’éviter de participer aux évènements violents de 2022 et de 2023 et qui a sciemment laissé croire aux Israéliens, par un vrai plan d’intoxication, que leur organisation était aux abois et n’avait plus l’intention de se battre. L’effort militaire israélien est alors porté sur la protection des colons en Cisjordanie. Pis, le 7 octobre, jour de shabbat et de fête religieuse, les partis nationalistes-religieux ont obtenu qu’une part inédite des militaires puisse être en permission. En ajoutant des circonstances particulières, comme la mise en maintenance des trois grands ballons de surveillance, le dispositif de surveillance et d’action autour de la bande de Gaza n’a jamais été aussi faible et peu vigilant que le 7 octobre 2023, ce que les chefs du Hamas à Gaza, Yahya Sinwar et Mohammed Deif, savaient parfaitement.
La suite est connue. Le 7 octobre, l’attaque massive de roquettes est plutôt contrée par les Israéliens. L’attaque terrestre du Hamas en revanche réussit à percer la barrière à 20 endroits et au moins 2 000 combattants, suivis de civils, pénètrent jusqu’à plusieurs kilomètres à l’intérieur du territoire israélien, attaquant les bases militaires, massacrant la population et ramenant 240 otages à Gaza. Du côté israélien, c’est la confusion, ce cas de figure n’ayant jamais été anticipé, et une improvisation complète pour rétablir la sécurité dans la zone attaquée. Le dimanche 8 octobre, le bilan est terrible avec 312 militaires, 59 policiers et 843 civils tués ; jamais Israël n’avait été frappé aussi violemment en une seule journée, qui plus est par une organisation armée.
Parmi les victimes, il y a également le modèle opérationnel israélien, qui a manifestement failli. On pourrait se dire qu’il y a eu surtout des causes circonstancielles à cet échec, et qu’en renforçant la barrière tout en frappant massivement à l’intérieur de Gaza, il sera possible d’assurer de nouveau la sécurité, sinon la paix, pendant des années. C’est d’abord ce qui est tenté, comme si, dans le doute, on commençait par faire simplement ce que l’on sait faire. On perçoit cependant très vite que cette réponse ne sera pas forcément à la hauteur du choc subi et, surtout, qu’un doute énorme s’est installé. Un paradigme repose aussi sur la confiance dans son efficacité. À partir du moment où cette confiance est perdue, il ne peut subsister très longtemps. Le problème israélien est qu’il lui faut trouver un remplaçant dans l’urgence et que les modèles de remplacement, en premier lieu une opération de conquête de Gaza suivie d’une occupation difficile pour celui qui la mènera, sont tous déplaisants.
Notes
(1) Tsva ha-Haganah le-Israël ou « Force de défense d’Israël ».
(2) J. T. MacCurdy, The Structure of Morale, Kessinger Publishing, 2010 (1943).
Légende de la photo en première page : Combattants palestiniens à Rafah, le 20 septembre 2023. À ce moment, les dés sont sans doute déjà jetés. (© Anas-Mohamed/Shutterstock)