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De nouvelles aéronavales ? Les avatars de la robotisation

La décision américaine de cesser la coopération avec la Turquie à propos du F‑35B a signé le début d’une séquence assez particulière. D’une part, la Turquie ne pouvait plus accéder à son rêve, remontant à plusieurs dizaines d’années, de disposer d’une aéronavale embarquée à voilure fixe susceptible d’opérer depuis un LHD justement conçu pour le Lightning II. D’autre part, la marine turque s’engageait dans une voie, le porte-drones, qui pourrait faire florès.

Analogue au Juan Carlos Ier, l’Anadolu aurait pu embarquer une petite dizaine de F‑35B, soit une capacité intéressante, mais qui reste dépendante d’une conception spécifique des opérations, avec une distribution des capacités d’appui et de soutien – détection aérienne avancée, lutte anti-­sous-­marine – dans le cadre d’une coalition. En effet, entré en service le 10 avril 2023, l’Anadolu est d’abord et avant tout un LHD (Landing helicopter dock) dont seule une partie des volumes intérieurs est occupée par les installations aéronautiques. Or la cessation du partenariat avec Ankara à propos du F‑35B est aussi le symbole d’une distanciation au sein de l’OTAN et d’une réduction de la probabilité d’assister à la mise en place d’une coalition navale impliquant des moyens aussi lourds qu’un porte-aéronefs.

Le cas turc : un porte-­drones de substitution au porte-aéronefs ?

Reste cependant une dimension symbolique extrêmement importante pour Ankara : qu’il embarque 10 ou 30 F‑35B et qu’il soit dépourvu d’un groupe aérien complet, l’Anadolu est avant tout représentatif d’une montée en puissance et d’une diversification capacitaire politiquement exploitable. De même, il symbolise l’action sur le « Mavi Vatan », une « patrie bleue » aussi revendiquée qu’elle est l’expression d’une puissance turque sûre d’elle, en pleine ascension et permettant d’édicter les normes selon lesquelles la Turquie agira stratégiquement (1). Or la solution finalement retenue pourrait faire sortir la Turquie « par le haut » de l’interdiction capacitaire qu’implique la décision américaine. Dès la deuxième moitié de 2020, il était question de mettre en place un groupe aérien embarqué d’un genre nouveau et tirant profit de l’expérience turque en matière de drones, tout en incluant des hélicoptères ASM ou encore des hélicoptères d’attaque (2).

D’une part, Ankara compte sur le TB3, une évolution du TB2. Si ce drone monomoteur en retient la configuration générale, il est aussi spécifiquement adapté aux opérations aéronavales. Il reçoit ainsi une liaison par satellite, qui réduit les risques liés aux actions de guerre électronique (mais qui devrait également faciliter l’intégration électromagnétique du drone sur un bâtiment ne manquant pas de systèmes pouvant causer des interférences). C’est aussi une machine deux fois plus lourde – 1 450 kg de masse maximale au décollage contre 700 kg pour le TB2 –, ce qui doit faciliter les opérations depuis la mer, mais qui autorise également un accroissement de la charge utile. Celle-­ci passe ainsi de 150 à 280 kg sur le TB3, avec six points d’emport, contre quatre sur le TB2. Les munitions vont également connaître une diversification comparativement au TB2, incluant notamment le Kuzgun, une munition modulaire qui peut, une fois dotée d’un turboréacteur, atteindre une portée de 110 km. Le train est par ailleurs adapté et les ailes, dont l’envergure passe de 12 à 14 m, peuvent partiellement se replier. Son roll-­out a eu lieu en mars 2023, et son premier vol le 27 octobre – deux jours avant la fête nationale turque. Depuis, les essais en vol se poursuivent.

D’autre part, la cérémonie d’admission au service actif de l’Anadolu a permis de présenter, sur son pont, un Kizilelma. Ce drone de combat à réaction de six tonnes de masse maximale au décollage a effectué son premier vol le 4 décembre 2022. S’il est officiellement présenté comme adapté à l’Anadolu, rien ne laisse pour l’heure présager son utilisation depuis le bâtiment : le train n’a pas l’air particulièrement renforcé et il ne dispose pas d’une crosse d’appontage – le navire lui-­même ne comportant pas de brins d’arrêts. Or il n’est pas certain qu’un drone d’une telle masse puisse apponter sans dispositif d’aide à l’arrêt – sous peine que sa course prenne une longueur excessive. Comme le TB3, son décollage ne nécessite que l’utilisation du tremplin. Reste cependant à voir quelles missions seront affectées au Kizilelma : projet prestigieux, son concept d’opération comme ses capacités précises – en particulier dans le domaine antinavire – sont encore nébuleux.

Un porte-­drones donc, mais pour quoi faire ? Comme pour n’importe quel bâtiment mettant en œuvre des aéronefs, les fonctions du navire sont relatives aux capacités des ceux-ci. Or, si l’on peut imaginer que l’embarquement d’hélicoptères ASM ferait de l’Anadolu une puissante plateforme une fois accompagné par son groupe d’escorte ou qu’il soit, bien évidemment, adapté aux opérations amphibies, quelles seraient ses fonctions dans d’autres scénarios ? Au regard des missions historiques du porte-­avions – supériorité aérienne, éclairage, lutte antinavire –, les drones embarqués pourraient avoir une utilité en termes d’éclairage, mais la faiblesse des charges utiles des drones limiterait les aptitudes en termes de lutte antinavire. Un engin comme l’Akinci semblerait plus adapté. De même, le TB3 n’est assurément pas une plateforme de supériorité aérienne et le Kizilelma doit encore faire ses preuves en la matière.

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