Au cours de la guerre froide, tandis que Français et Américains dominaient le marché des missiles antinavires lourds à guidage radar avec l’Exocet et le Harpoon, l’industriel norvégien Kongsberg Defence & Aerospace (KDA) développait son missile Penguin, plus léger et à guidage infrarouge, pour équiper les vedettes légères et les hélicoptères. Pour succéder au Penguin, KDA a mis au point dans les années 2000 un nouveau missile reprenant cette même formule, le NSM (Naval strike missile). Mais si le Penguin occupait un marché de niche, le NSM s’est progressivement imposé comme un best-seller que rien ne semble pouvoir arrêter.
Produit à partir des années 1970, le Penguin a connu une carrière en demi-teinte. Bien qu’il pût équiper des navires de premier rang et des avions de combat, il ne faisait pas le poids, sur ce segment de marché, face aux propositions françaises, américaines ou même suédoises et italiennes, basées sur des missiles plus gros et plus performants. Néanmoins, sa compacité lui permettait d’être aisément intégré sur des hélicoptères ou sur de petits patrouilleurs côtiers. Mieux encore, son mode de guidage infrarouge, alors unique au sein de l’OTAN, simplifiait son intégration aux différents systèmes d’arme, tant et si bien que le petit missile norvégien a fini par être adopté par l’US Navy, sous la désignation d’AGM‑119.
La genèse du NSM
Au début des années 2000, l’heure étant venue de remplacer le Penguin, KDA a tout naturellement proposé une nouvelle solution comparable en termes de dimensions, de masse et de charge militaire, mais adoptant les dernières évolutions en matière de discrétion, de propulsion et de guidage. Le moteur à poudre cède la place à un petit turboréacteur conférant au missile une portée d’environ 200 km, quatre fois supérieure à celle de son prédécesseur. Sa formule aérodynamique soignée permet d’optimiser à la fois sa furtivité passive et sa compacité. Enfin, le guidage infrarouge, inertiel et satellitaire profite des dernières évolutions en matière d’électronique et d’algorithmique, permettant au missile de réaliser des navigations complexes et de l’identification de cibles autonomes, même en environnement très dense, tout en lui conférant une capacité secondaire de frappe terrestre.
Le NSM, d’abord appelé Nytt sjømålsmissil (nouveau missile antinavire) est ainsi né, et il apparaît très vite que son potentiel commercial dépassera largement celui de son aïeul. En effet, l’augmentation de portée du NSM lui ouvre soudainement certains marchés jusqu’alors réservés aux missiles lourds, où il se distingue comme un produit unique. Plus léger, il permet des salves plus denses pour les batteries côtières et les petits patrouilleurs côtiers. Mieux encore, si les petites dimensions du Penguin – et les faibles performances associées – limitaient son intérêt pour une intégration sur les chasseurs-bombardiers de l’époque, la compacité du NSM en fait au contraire un atout pour intégrer les soutes des chasseurs furtifs.
Le coup de pouce américain
Dans ce contexte, et même si sa production en série a été lancée à la suite de la commande norvégienne de 2007, le nouveau missile de KDA réussit rapidement un impressionnant doublé gagnant auprès des forces américaines, ce qui lui assure un grand avenir commercial. D’une part, avant même que le premier exemplaire ne sorte d’usine, le NSM est sélectionné par le Pentagone et Lockheed Martin pour servir de base au développement du JSM (Joint strike missile). Coproduit par Kongsberg et la firme américaine Raytheon, le JSM est le seul missile antinavire pouvant être embarqué à l’intérieur des soutes du chasseur F‑35. Cette exclusivité, qui s’inscrit dans le cadre de la participation industrielle norvégienne au programme JSF/F‑35, a permis de vendre le JSM à la Norvège, aux États-Unis, au Japon et à la Finlande, et d’autres pays ont montré un certain intérêt pour cette solution (Australie, Corée du Sud, Danemark, Pologne, etc.).
D’autre part, après des années de tergiversations, l’US Navy confirme en 2016 son intention d’acheter des NSM pour équiper ses Littoral combat ships (LCS). Pour le marché américain, le missile est commercialisé par Raytheon, qui sert également d’intermédiaire principal lors de certaines ventes à l’exportation, élargissant encore plus les débouchés potentiels. Avec son mode de guidage bien adapté aux opérations littorales et sa capacité de frappe vers la terre, le NSM est un choix logique pour les LCS. En 2019, et sans grande surprise, c’est au tour des Marines de sélectionner le NSM, intégré dans des batteries côtières mobiles. À plus long terme, le NSM est pressenti pour équiper les futures frégates américaines de la classe Constellation, ainsi que les futurs navires amphibies légers des Marines. De quoi acter, définitivement, le passage de relais entre l’ancienne génération de missiles Harpoon et les tout nouveaux NSM et JSM.