Après l’officialisation du programme SCAF en 2017, la première représentation « officielle » de ce que pourrait être son vecteur piloté, le NGF, a été dévoilée sur le stand de Dassault Aviation lors du salon Euronaval 2018. Même si la maquette de l’époque diffère grandement de la configuration dévoilée l’année suivante au Bourget, cette présence sur l’un des plus grands salons de l’armement naval rappelle que ce futur chasseur européen devra être conçu dès l’origine pour opérer depuis un porte-avions. Ce qui ne va pas sans son lot de contraintes et de défis. Plongée dans une vision de ce que pourrait être – ou ne pas être – le futur de l’aéronavale française.
Même si l’erreur est assez commune, le SCAF (Système de combat aérien futur) ne doit pas être confondu avec le NGF (New generation fighter), ce dernier n’étant que le composant « avion piloté » du programme SCAF, plus global, qui doit aussi développer un cloud de combat, des capteurs et des moteurs de nouvelle génération, ou encore des drones consommables et des effecteurs déportés (regroupés sous la désignation « remote carriers »). Si le NGF doit être le futur avion de combat principal des armées de l’air française, allemande et espagnole, il doit aussi être opéré par la Marine nationale à bord de son ou de ses futurs Porte-avions de nouvelle génération (PANG) (1). Un impératif qui, nous allons le voir, pèse énormément sur l’architecture fondamentale du NGF.
De fortes contraintes liées à la navalisation
Comme l’a confirmé le patron de Dassault Aviation, Éric Trappier, lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes défense (AJD) qui s’est tenue à la fin de l’année 2023, « dès les premiers coups de crayon du démonstrateur [du NGF], il faudra tenir compte de ces impératifs [d’utilisation à bord du PANG]. On ne “navalise” pas un avion de combat, on conçoit dès le départ un avion capable d’équiper un porte-avions PANG. On fera comme pour le Rafale ». Dès lors, les règles du jeu sont posées : le futur NGF devra être avant tout un avion naval, dont les dimensions et les performances (notamment les vitesses d’approche et la maniabilité à basse vitesse) seront adaptées aux contraintes d’utilisation à bord du PANG. En effet, si l’histoire a démontré qu’il est au mieux extrêmement difficile – et le plus souvent impossible – d’adapter un avion terrestre à un usage naval sur de véritables porte-avions (2), l’inverse est loin d’être vrai. Certains avions initialement conçus pour un usage embarqué, comme le F‑4 Phantom, l’A‑4 Skyhawk, le F/A‑18 Hornet ou encore le Rafale, ont connu un succès retentissant en tant qu’avions basés à terre.
Reste que cette approche, dans le cadre d’une coopération internationale, semblait loin d’être évidente au lancement du programme SCAF. Au début des années 1980, le besoin français de navaliser le futur avion de combat, avec les contraintes induites en termes de compacité de l’avion et de coûts de développement, a en effet été l’un des arguments qui ont mené à la scission des programmes français (Rafale) et européen (Eurofighter Typhoon). Alors qu’Airbus et le Bundestag rappellent régulièrement leur mécontentement concernant le fait que Dassault Aviation a obtenu le statut de maître d’œuvre sur le volet NGF du programme SCAF (3), on aurait pu craindre que la navalisation du NGF et ses surcoûts induits ne soient un autre point d’achoppement d’un SCAF déjà largement critiqué de toutes parts. Mais comme l’a montré le Rafale, une conception navale ab initio permet aussi de prévoir une cellule nettement plus robuste, disposant d’un potentiel plus important, et donc d’une longévité opérationnelle accrue, notamment pour les versions terrestres qui n’ont pas à subir le stress des appontages et catapultages. Un argument sans doute mis en avant par Dassault devant ses partenaires.
Des compromis pour le NGF Naval
Reste que le NGF ne pourra pas dépasser une certaine masse (environ 35 t) ou même une certaine envergure (14 ou 15 m), sous peine de bien trop contraindre son usage sur porte-avions. Et ce, même si cela devait limiter ses performances globales, notamment son autonomie et sa capacité d’emport. De même, les normes de sécurité de la Marine nationale semblent être l’une des raisons qui ont fait évoluer le design général de l’appareil d’une aile delta sans dérive, présentée en 2018, vers une voilure en flèche flanquée de deux très larges dérives inclinées, comme présenté au Bourget 2019.
Bien entendu, les compromis fonctionnent également dans l’autre sens. Lors du Forum innovation défense (FID) qui s’est tenu en novembre 2023, un officier de la DGA qui présentait le NGF a confirmé que l’objectif des concepteurs était d’avoir le moins de différences possibles entre ses diverses variantes. Dès lors, on peut supposer sans trop de risques que le NGF Naval, comme le Rafale M avant lui, ne disposera pas de voilure repliable, limitant la densité d’emport en avions à bord du hangar (ou des ascenseurs) du PANG. Reste également à voir si le NGF pourra disposer d’une variante biplace. Sur les Rafale de l’armée de l’Air, mais aussi sur le Super Hornet américain, les équipages doubles sont privilégiés pour les missions particulièrement complexes. Le NGF devant être un véritable chef d’orchestre capable de mener au combat une diversité de drones, d’effecteurs déportés et autres munitions vagabondes, il faudra voir si cela imposera un deuxième pilote à bord, ou si les avancées en matière d’intelligence artificielle et d’interface humain-machine s’avéreront suffisantes pour traiter convenablement toutes ces informations.