Magazine Moyen-Orient

Les proliférations balistique et nucléaire, les deux faces d’une même pièce ?

Le cas du Yémen se distingue par la maîtrise acquise par les houthistes de la construction et du tir de missiles. Le mouvement zaydite conçoit et adapte lui-même ses vecteurs à partir de matériels nord-coréens, iraniens, voire chinois, et les utilise contre des cibles en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis – les deux « victoires » majeures étant les attaques contre la Saudi Aramco en septembre 2019 et contre Abou Dhabi en janvier 2022. Elles dessinent en creux le manque de systèmes de défense antimissiles au Moyen-Orient et les demandes insistantes des partenaires de l’Occident dans la région pour s’en doter, tout en maintenant un équilibre délicat par rapport à l’Iran. Malgré un réchauffement des relations diplomatiques, il est possible que l’acquisition par les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite d’un système de défense – potentiellement israélien – performant pour réduire à néant l’efficacité des missiles balistiques iraniens susciterait une irritation de la part de Téhéran, voire provoquerait une nouvelle course aux armements dans le Golfe.

Énergie nucléaire et armement balistique au Moyen-Orient (mai 2023)

La force israélienne, les ambitions saoudiennes

Seul État nucléaire de la région, Israël dispose d’un arsenal de qualité, avec quatre modèles connus de missiles de croisière et quatre balistiques. Si la plupart sont de courte portée et utilisés à des fins tactiques avec une charge conventionnelle, les Jericho peuvent être considérés comme stratégiques. Le Jericho-1 a été développé dès les années 1960 avec l’aide de la France, mais a priori jamais utilisé. Son successeur, le Jericho-2, est en service dans les forces israéliennes depuis 1989 et dispose d’une portée de 1 500 à 3 500 kilomètres. Sa propulsion solide et sa mobilité en font un vecteur crédible pour une tête nucléaire. Il devrait être remplacé à terme par le Jericho-3, dont la portée est comprise entre 4 800 et 6 500 kilomètres. Cependant, Tel-Aviv ne reconnaît pas publiquement la possession de missiles balistiques stratégiques, ni ne les teste : seuls le véhicule de lancement spatial, le Shavit, et le LORA, un missile de courte portée à usage tactique, font l’objet de démonstrations. Il n’existe donc pas de doctrine d’emploi des missiles balistiques israéliens, bien que l’on puisse présupposer qu’ils contribuent à renforcer la dissuasion israélienne, notamment par leur caractère potentiellement dual.

Enfin, l’Arabie saoudite importe des missiles balistiques chinois depuis les années 1990, dont le Dongfeng-3, de portée intermédiaire et possiblement capable d’emporter une tête nucléaire. Comme pour le Jericho-3, on peut se poser la question de l’utilité d’une telle portée, dont l’imprécision s’accroît en grandissant alors que l’adversaire principal de l’Arabie saoudite et d’Israël dans la région, l’Iran, reste proche. Il est probable qu’un missile balistique à tête nucléaire serve à la dissuasion globale et au statut de ces deux pays, plutôt qu’à une perspective d’emploi sur le terrain. L’arsenal saoudien aurait été complété par l’acquisition de plusieurs DF-21, de courte portée (1 700 kilomètres) et à propulsion solide, dont le caractère dual n’est pas démontré. Des révélations dans la presse en 2019 ont permis de découvrir l’existence en Arabie saoudite d’un site de fabrication de missiles à propulsion solide, toujours avec le soutien de la Chine. Si ce programme a suscité des crispations et témoigne d’une implication croissante de Pékin dans la péninsule Arabique, il n’apparaît à ce stade pas comme une menace, aucun test n’ayant jamais été observé.

Quant aux Émirats arabes unis, leurs principaux achats de missiles capables d’emporter une tête nucléaire remontent aux années 1980 : d’abord des Scud-B auprès de la Corée du Nord, puis des missiles de croisière Black Shaheen fournis par la France – ces derniers ayant probablement été modifiés afin d’empêcher toute installation de charge atomique.

Quelles conséquences sur la prolifération nucléaire ?

Il existe plusieurs vecteurs permettant de délivrer une charge nucléaire sur une cible précise. Les deux seules armes nucléaires employées dans l’histoire étaient des bombes larguées depuis un avion et dotées de dispositifs leur permettant d’exploser en altitude. Les bombes à gravité sont encore en service dans plusieurs États dotés d’armes nucléaires : les États-Unis disposent ainsi d’une centaine de B-61, largables depuis les Dual Capable Aircrafts stationnés dans sept pays de l’OTAN. Si cette méthode a le mérite d’être plutôt simple, car ne requérant pas de miniaturisation importante de la charge (ce qui serait nécessaire pour la mettre en place sur un missile), elle comporte de nombreux désavantages. Sauf à être ravitaillé en vol, le bombardier doit être dans un rayon d’action raisonnable par rapport à sa cible. De plus, le pilote devra éviter les systèmes de défense sol-air du pays adverse, sauf à imaginer une campagne préalable de neutralisation de l’ensemble des systèmes au travers d’actions cinétiques ou cyber.

À propos de l'auteur

Héloïse Fayet

Chercheuse au Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (IFRI), où elle coordonne le programme « Dissuasion et prolifération ».

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