Comme vous venez de le souligner, la France s’est fait chasser de ces trois pays du Sahel. Quelle doit être la politique étrangère de la France vis-à-vis de ces pays ?
Vis-à-vis de ces trois pays, la France ne peut pas à ce stade prendre d’initiatives et doit rester dans une période d’attente, sachant que la situation de ces pays n’est pas stabilisée. Il convient néanmoins d’éviter dans l’intervalle toute mesure allant dans un sens défavorable aux intérêts de ces pays. Il serait même à notre avis souhaitable d’assouplir les modalités de voyages, dans la mesure du possible, par le biais des visas Schengen délivrés par les autres ambassades européennes puisque nos services consulaires ont été fermés, en premier lieu au Mali. De même, la coopération décentralisée et par les ONG devrait pouvoir être maintenue, alors que des mesures de suspension ont été décidées au niveau français puis, en réaction, au niveau malien. Il faudrait également être attentif aux besoins des étudiants de ces pays qui se trouvent en France et qui devraient pouvoir y continuer normalement leurs études. Le domaine de la coopération culturelle et universitaire devrait rester encouragé.
Parmi les différents scénarios sahéliens possibles, en réaction à la dégradation actuelle de la situation économique, sécuritaire, politique et sociale, constatée dans chacun de ces pays, on ne peut exclure, de la part de leurs autorités, actuelles ou futures, un désir de rapprochement avec les pays européens et la France. Ceci pourrait provenir en particulier des besoins de financement budgétaire et du désenchantement progressif de la population, favorable aux putschistes militaires, mais espérant toucher des dividendes du changement. Il faudrait alors être disponible pour répondre favorablement à tout signe d’ouverture, sans poser des conditions politiques touchant à la souveraineté de ces pays, ce qui serait contreproductif. Ceci suppose plus de pragmatisme, sans se focaliser sur les élections ni sur la présence russe dans ces pays.
Cette situation pourrait-elle se reproduire dans des pays où elle a encore une influence ? Quid notamment du Sénégal, du Gabon ou du Tchad ?
Bien que ce ne soit pas d’actualité dans ces trois pays, rien ne peut être exclu à l’avenir.
Au Sénégal, les relations que la France pourra établir avec le président Faye, qui a été démocratiquement élu dès le premier tour sur une espérance de changement radical, seront cruciales. Si Paris parvient à répondre favorablement aux demandes que pourraient lui faire les nouvelles autorités sénégalaises et apparaitre comme un soutien inconditionnel, la vague de sentiment anti politique française qui couve dans ce pays pourrait éventuellement s’apaiser. Nous pourrions en particulier proposer au Sénégal les moyens techniques et financiers de se retirer sans encombre, dès que possible, du franc CFA, retrait qui apparaitrait comme un symbole politique bienvenu, voire nécessaire.
S’agissant de notre petite base militaire de Dakar (350 hommes), déjà réduite au début des années 2010, nous pourrions probablement proposer de la fermer tout en gardant des possibilités d’accès ou d’entretien pour les navires de notre marine. Il pourrait par ailleurs être judicieux pour la France de prendre l’initiative d’une cérémonie expiatoire concernant le massacre (décembre 1944) par l’armée coloniale française des tirailleurs sénégalais de Thiaroye, anciens prisonniers de guerre, qui ont combattu pour la France. Cette très grave faute française n’a pas encore donné lieu aux nécessaires réparations (morales).
Au Gabon, le putsch du général Brice Oligui Nguema, qui a été accueilli avec soulagement par la population excédée par le régime corrompu et déliquescent d’Ali Bongo Ondimba, qui avait entrepris de truquer une réélection, n’a pas pris une orientation anti politique française et les relations bilatérales en sont sorties plutôt renforcées. Le respect annoncé du calendrier de deux ans pour un retour à une situation conforme à la Constitution avec des élections présidentielles augure, à ce stade, un pays apaisé si le régime parvient à mieux faire partager sa croissance économique et combat réellement corruption et favoritisme. Il est trop tôt pour en faire le bilan. Les autorités gabonaises souhaitent le maintien de la base militaire française.
Au Tchad, le régime autoritaire du président Mahamat Idriss Déby, qui a succédé de manière anticonstitutionnelle à son père en 2021, et qui prépare sa candidature à l’élection présidentielle du 6 mai 2024, apparait clairement comme adoubé par le président Macron. Ceci a été marqué symboliquement par la présence du président français aux funérailles d’Idriss Deby alors que son fils venait de prendre la tête du pays. L’armée française est également présente sur place avec un millier d’hommes et prévoit d’y demeurer selon les déclarations récentes (mars 2024) de l’envoyé personnel du président français, Jean-Marie Bockel, qui a déclaré publiquement son « admiration » pour le processus de transition. Ces appuis français interviennent dans un climat politique fortement contesté selon les ONG internationales de défense des droits de l’homme et après la mort d’un des principaux opposants dans un assaut de l’armée tchadienne contre le siège de son parti (fin février 2024). La France mise sur la stabilité du régime militaire tchadien dans un contexte de fragilité de cet État menacé de déstabilisation locale et régionale et n’hésite pas à l’appuyer publiquement.
Alors que nous assistons à un changement d’époque, la France doit-elle changer sa façon de parler à l’Afrique et, si oui, comment sa politique étrangère et sa diplomatie doivent-elles s’adapter à ce nouveau paradigme ?
Il va de soi que l’histoire récente démontre la nécessité d’adopter un langage officiel et des postures diplomatiques différentes et désormais marquées par davantage de respect et d’humilité à l’égard des positions relevant du pouvoir souverain des États africains francophones.