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Le ciel va-t-il nous tomber sur la tête ? L’Europe s’active en matière de défense aérienne et antimissile

Propulsée en tête de la liste des priorités, compte tenu de la nouvelle donne européenne et transatlantique, la défense aérienne et antimissile répond à un double objectif. Se prémunir contre d’éventuelles attaques par Moscou en développant des moyens susceptibles de contrer les capacités russes, y compris hypersoniques, n’est qu’une partie de l’équation. Ce faisant, l’Europe réduirait aussi sa dépendance excessive par rapport à l’allié américain, lequel risque de se retrouver face à de multiples crises simultanées dans l’avenir.

Sur le Vieux Continent, la prise de conscience des retards, des lacunes et des vulnérabilités s’effectue à la vitesse grand V. Entre l’insuffisance chronique des stocks, l’imprévisibilité patente de la politique des États-Unis et le spectre de l’ours russe qui n’attendrait qu’à déferler sur l’Europe, l’appétit pour les intercepteurs de toute sorte n’a jamais été aussi fort depuis la fin de la guerre froide.

Les initiatives multinationales se poursuivent sur des voies parallèles, mais toutes ont en commun l’omniprésence de Berlin. L’Allemagne s’emploie, par divers moyens, à préempter ce domaine qu’il trouve taillé sur mesure pour incarner son ambition de leadership. Sauf que la France dispose initialement d’atouts autrement plus convaincants en la matière, puisqu’elle est le seul pays européen à développer des armes hypersoniques (le futur missile ASN4G de la composante aéroportée de la dissuasion, le planeur hypersonique V‑MAX, sans parler des capacités d’alerte avancée ou des interfaces permettant une structure unifiée de commandement et contrôle). Mais rien n’y fait. Berlin manie à merveille l’arme politico-idéologique : un tantinet d’atlantisme là, une pincée d’européisme ici. Les programmes ESSI (Bouclier du ciel européen) et EU HYDEF (Intercepteur européen de défense hypersonique) en sont des exemples types.

L’ESSI, l’Allemagne et l’OTAN, ou la dépendance en urgence

Ces programmes exposent deux approches qui ont toutes les deux pour résultat paradoxal l’érosion des compétences européennes propres. Lors de son discours à Prague en août 2022, le chancelier Olaf Scholz pose les jalons de ce qui sera l’initiative ESSI (European Sky Shield Initiative) : investissement massif dans les capacités de défense aérienne, ouverture du projet à la participation des voisins, le tout censé être « un excellent exemple de ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de renforcer le pilier européen de l’OTAN ». Deux mois plus tard, c’est justement en marge d’une réunion de l’Alliance que l’annonce officielle est faite, avec quelques grands traits qui émergent : il s’agit d’un système multicouche de défense aérienne et antimissile, dont les éléments seront achetés, (éventuellement) développés et opérés en coopération, et qui compte sur le système Arrow‑3 israélo-­américain pour la longue portée, l’IRIS‑T SLM allemand pour la courte portée et, surtout, le système américain Patriot au milieu.

L’absence du système franco-­italien SAMP/T, et des deux pays concernés, fut immédiatement remarquée, de même que celle de la Pologne qui, mentionnée pourtant en première place par le chancelier Scholz à Prague, a décidé, pour l’heure, de se tenir à l’écart. Malgré l’adhésion d’une vingtaine de pays (1), le plan allemand n’est pas sans failles. L’étude consacrée au sujet par le CSIS (Center for Strategic & International Studies) est plus que réservée quant à sa logique initiale. Publiée en mai 2023, elle fustige « le manque de clarté de l’initiative quant à son contenu et ses objectifs ». À la question de savoir « si elle réussira », les auteurs répondent que les bénéfices de l’ESSI seront difficiles à réaliser dans la pratique. Ils classent les multiples défis en trois catégories :

• les défis politiques : la « cacophonie stratégique », autrement dit la diversité des intérêts, priorités et cultures nationales pourrait se révéler problématique, a fortiori dans un domaine où la spécialisation sera inévitable et, « les pays qui ne peuvent pas se permettre des systèmes complexes devront s’en remettre à d’autres pour la couverture contre les missiles à longue portée » ;

• les défis économiques : le « morcellement des préférences » du côté de la demande (besoins opérationnels) et de l’offre (industries de défense) risque de poser des difficultés de coordination, tandis que le choix d’acheter sur étagère des systèmes non européens « met en péril la base industrielle et technologique de défense à long terme »  ;

• les défis militaires, qui concernent au premier chef « l’interopérabilité », vu la nécessité d’une harmonisation des doctrines, de la formation et de l’entraînement à un niveau jamais atteint jusqu’ici (2).

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