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Char moyen : pour en finir avec la prise de poids

Un catalogue en voie de revitalisation

La structuration des forces armées terrestres autour des MBT dès le milieu de la guerre froide va très largement mettre à mal le marché du char léger ou moyen, par le passé vivace. On se remémore ainsi quelques échecs historiques, notamment en Amérique du Sud avec la tentative brésilienne d’entrer sur le marché avec l’EE‑T1 Osorio (environ 40 t, armement de 105 ou 120 mm), ou de l’Argentine avec le TAM (Tanque Argentino Mediano), bel engin de 30 t qui venait à l’époque remplacer des… Sherman Firefly, et dont la cible d’acquisitions domestiques sera réduite d’année en année (il est en voie d’être de nouveau modernisé, pour la seconde fois, 40 ans après son entrée en service). À la fin des années 1980, ces deux programmes étaient en difficulté, voire éteint pour le brésilien. Et alors que les États-Unis et l’Allemagne écoulent déjà par centaines les chars Abrams et Leopard 2, la France, qui prépare de son côté le Leclerc, connaîtra un échec retentissant avec son audacieux AMX‑40, char moyen doté d’un 120 mm conçu pour l’export, que l’on jugera a posteriori sous-dimensionné.

Toutefois, et bien conscients que l’imposant marché des MBT ne répond pas aux besoins de tous les États du monde (pays insulaires, tropicaux, montagneux, ou tout simplement manquant de moyens), les bureaux d’études des industriels de l’armement n’ont jamais cessé de proposer des plateformes plus légères associées à des innovations renforçant la létalité comme la survivabilité des chars légers/moyens, avec même une augmentation du catalogue au cours des dernières années. Citons ici BAE Systems avec le véhicule de combat d’infanterie d’origine suédoise CV90 doté d’un canon de 120 mm : le CV90120 Ghost. Le Ghost est la dernière évolution destinée au combat de ce châssis éprouvé, après une première tentative infructueuse de collaboration avec le GIAT français au début des années 1990, autour d’un canon rayé de 105 mm, puis une série de démonstrateurs plus ou moins avancés équipés d’un 120 mm à partir de la fin des années 1990. Le programme Ghost, nettement plus avancé que les précédentes itérations et développé sur fonds propres, a donné lieu en 2020 à la présentation d’un premier prototype de 38 t propulsé par un moteur de 1 000 ch. Sa tourelle biplace accueille un canon lisse de 120 mm à chargement automatique, des missiles antichars et des mitrailleuses téléopérées de calibre 7,62 ou 12,7 mm. Condition sine qua non sur le marché aujourd’hui, le véhicule intègre un système de protection active en complément de ses senseurs d’alerte laser, radar et missile. Enfin, des innovations majeures sont annoncées avec l’implémentation future du système ADAPTIV, un camouflage thermal actif révolutionnaire, ainsi que d’un système de combat intégrant l’intelligence artificielle pour aider à l’identification des menaces.

Toujours en Europe, le géant allemand Rheinmetall propose depuis 2022 le Lynx 120 qui, comme son nom l’indique, repose sur le châssis du VCI KF41 Lynx. Il affiche donc lui aussi un fort potentiel de modularité. Le Lynx 120, avec son canon lisse capable de tirer des projectiles à détonation programmable DM11, s’établit à 45 t sur la balance, tout en pouvant profiter d’un moteur turbodiesel (Liebherr) de 1 140 ch qui offre encore une belle marge pour des évolutions supplémentaires. Ultra mobile, le Lynx 120 bénéficie du système de protection actif de Rheinmetall, le Strikeshield. Le char est conçu pour agir de concert avec les autres blindés de la famille KF41, en appui-­feu ou en mission antichar.

Chez les émergents qui ont déjà un pied sur le marché global de l’armement terrestre, l’israélien Elbit Systems, fidèle à sa stratégie, coopère avec GDELS (General Dynamics European Land Systems) pour proposer sur le convoité marché asiatique le char léger Sabrah de 33 t, dont la version chenillée est basée sur le châssis ASCOD II d’origine espagnole, équipé pour l’occasion d’une tourelle de 105 mm à chargement automatique, produite par Elbit. Cette version chenillée s’est vendue à 18 exemplaires aux Philippines en 2022. La très ambitieuse Turquie n’est pas non plus inactive sur ce segment du marché asiatique, au contraire, puisqu’elle a placé en Indonésie 18 chars Harimau de 35 t en 2019. Ce châssis d’origine turque accueille une tourelle de 105 mm de l’entreprise belge John Cockerill Defense (JCD) et un moteur Caterpillar de 700 ch. Ankara, qui espère vendre en Indonésie des centaines d’exemplaires de ce char, annonce pouvoir intégrer un système de protection active développé par Aselsan et Tubitak Sage. Toujours en Turquie, Otokar a présenté successivement en 2018, puis plus récemment en février 2024, deux chars issus de collaborations : le Tulpar de 105 mm, avec JCD ; et le Tulpar de 120 mm, avec l’italien Leonardo (tourelle HITFACT Mk2 qui équipe le blindé 8 x 8 Centauro 2). Avec ce châssis robuste accueillant un moteur Scania de 810 ch, la Turquie semble disposer d’un beau potentiel de modularité pour des chars jusqu’à 42 t.

À ce stade de l’analyse, faut-il conclure à l’explosion imminente du marché des chars moyens/légers ? La partie négative de la réponse pourrait se trouver dans le très faible nombre d’engins vendus à ce jour, ou encore dans le manque d’expérience au combat de ces derniers ; et la partie positive, en observant le comportement des grands acteurs stratégiques.

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