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L’Iran, perturbateur stratégique

L’Iran est devenu un « perturb’acteur stratégique » central sur la scène internationale. Mais dans quelle mesure son positionnement se construit-il au regard de la question palestinienne ? N’est-ce qu’un prétexte ? En définitive, à part survivre et maintenir son régime, que cherche l’Iran ?

Dès son avènement, la République islamique a fait de la défense de la cause palestinienne son fonds de commerce. Bien avant Mahmoud Ahmadinejad, l’ayatollah Khomeini, fondateur du régime iranien, appelait déjà à « rayer » Israël de la carte – un thème récurrent chez les dirigeants iraniens, l’actuel guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, ayant encore récemment qualifié Israël de cancer à éradiquer. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la raison d’être du plus important proxy iranien, le Hezbollah libanais, est de lutter contre l’« entité sioniste » et si l’une des principales unités de guerre hybrides du Corps des gardiens de la révolution (CGRI) se nomme Force Al-Qods – une référence directe à la Ville sainte de Jérusalem et à l’ambition affichée de libérer les territoires palestiniens.

Reste que la posture anti – israélienne de Téhéran est largement calculée, opportuniste et circonstancielle. Seuls pays non arabes de la région avec la Turquie, l’Iran et Israël ont beaucoup en commun. La monarchie iranienne avait été le premier pays musulman à reconnaître Israël en 1949 et la République iranienne et l’État hébreu avaient entretenu une collaboration militaire et technologique jusqu’en 1989 – soit dix ans après la révolution islamique. La défense de la cause palestinienne est surtout une source de « soft power » pour la république iranienne : un moyen de mobiliser l’alliance avec les organisations comme le Hamas ou le Djihad islamique et, ce faisant, engranger de nombreux bénéfices – parmi lesquels le déraillement du processus de rapprochement israélo – arabe engagé par les accords d’Abraham ; la réaffirmation de l’Iran comme champion de la « rue arabe » et de la lutte anti-impérialiste ; ou encore la remise en cause de l’infaillibilité technologique et militaire d’Israël.

La grande force de l’Iran est d’avoir su développer un « rhizome stratégique » à travers toute la région : à ses forces propres, il faut évidemment ajouter des proxys qui permettent de prendre directement à partie ses adversaires, comme on a pu le voir en Irak ou encore dans le détroit de Bab el-Mandeb. Jusqu’où Téhéran peut-il provoquer les États-Unis ou Israël ?

Au sortir de la guerre Iran-Irak et de la première guerre du Golfe, constatant ses faiblesses et la dis – symétrie de la distribution de puissance au profit des États – Unis et de leurs alliés, la République islamique adopte une stratégie a‑symétrique. À l’instar d’autres puissances eurasiatiques, elle mise sur cette approche multifacette qui consiste à compenser ses carences relatives dans les domaines diplomatique, économique et militaire en combinant tous ses atouts de manière prudente, pragmatique et non conventionnelle, c’est-à‑dire en évitant soigneusement la confrontation directe avec les adversaires américains, israéliens et arabes. La guerre des 33 jours de l’été 2006 lui fait franchir une nouvelle étape dans l’institutionnalisation de sa doctrine de guerre asymétrique. Comme le note alors son principal concepteur, le major – général Mohammad Ali Djafari, commandant du CGRI, « compte tenu de la supériorité numérique et technologique de l’ennemi, l’Iran recourra désormais systématiquement à une stratégie “asymétrique”  ».

Dans une large mesure, l’Iran conduit cette stratégie de zone grise, sous le radar et sous le seuil de la guerre classique, par l’intermédiaire d’une myriade de mouvements non étatiques, chiites ou pro – iraniens, tels que les Houthis zaydites du Yémen, les membres du Hachd al-Chaabi irakien ou les combattants sunnites du Hamas palestinien. L’approche du commanditaire iranien est d’offrir à ce type de proxy une autonomie et une marge de manœuvre opérationnelle suffisantes pour agir indirectement, tout en conservant la possibilité de nier de façon plausible (« plausible deniability » en anglais) son implication dans leurs initiatives ponctuelles. Fédérés autour de l’antisionisme, les acteurs de cette lutte par procuration forment le fameux « Axe de la résistance » orchestré à distance par Téhéran et dont le mode opératoire consiste à harceler et à provoquer les forces américaines et israéliennes tout en permettant aux Iraniens de se soustraire à d’éventuelles représailles directes.

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