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L’Iran, perturbateur stratégique

Parallèlement, Téhéran n’a cessé de resserrer ses liens diplomatiques et stratégiques avec Moscou et Pékin. En mars 2021, la République islamique et la République populaire de Chine ont signé un partenariat économique et sécuritaire de grande envergure. En septembre 2021, l’Iran a fait ses premiers pas au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). En janvier 2022, le président iranien a rencontré Vladimir Poutine à Moscou pour renforcer la coopération russo – iranienne. En juillet 2022, lors d’un rare déplacement à l’étranger, le président russe a rendu la politesse en se rendant à Téhéran auprès de l’ayatollah Ali Khamenei. En septembre 2022, la République islamique est officiellement devenue membre de l’OCS. Annoncée en août 2023, l’adhésion à part entière de l’Iran à l’organisation des BRICS est quant à elle officialisée en janvier 2024.

S’inscrivant dans la doctrine du « Regard vers l’Est » (Nagah be Shargh) adoptée en 2005, ces développements, loin d’être le résultat de décisions ponctuelles, témoignent de l’ancrage manifeste de l’Iran sur les puissances du heartland eurasiatique. En 2019, le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, pourtant réputé pro – occidental, soulignait le caractère systémique et irréversible de cette orientation lorsqu’il déclarait : « Le futur de notre politique étrangère est désormais dirigé vers l’Est. » En liant son destin à celui du pôle sino – russe, Téhéran n’hésite plus à remettre en question les fondements mêmes de la doctrine « Ni Orient, ni Occident » (Na Chargh, Na Gharb) de l’ayatollah Khomeini. Au-delà de l’Ostpolitik iranienne et de ses conséquences directes, il faut aussi sans doute voir dans cette dynamique l’émergence d’un bloc eurasien rival, capable de constituer une menace importante pour l’ordre mondial libéral dirigé par les États‑Unis.

Est-il possible de contrer l’Iran ?

L’Iran peut être contré et contenu : la stratégie de « pression maximale » et la mise en quarantaine du régime islamique présentent des avantages et des options notables pour ses adversaires. À moins d’une guerre ou d’une nouvelle révolution, l’Iran ne peut en revanche être défait. Sa stratégie hybride, combinant des éléments irréguliers et conventionnels, lui confère des garanties de longévité. Au cours des mois et des années à venir, Téhéran maintiendra le cap de cette politique multifacettes conduite sur tous les fronts et par tous les moyens disponibles. Les dirigeants iraniens emprunteront tous les raccourcis permettant au régime de demeurer en vie et à l’Iran de rester une pièce maîtresse de l’échiquier eurasiatique. Placé en infériorité sur le plan militaire et économique, l’outsider iranien mettra en œuvre l’approche asymétrique en s’appliquant à esquiver le combat frontal et en portant les coups là où on ne l’attend pas. L’Iran s’efforcera, pour reprendre le mot d’Henry Kissinger, « de gagner en ne perdant pas ». Cette stratégie s’est déjà révélée payante, et Téhéran jouera de la sorte tant que cela lui permettra d’engranger des gains.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 26 janvier 2024.

Article paru dans la revue DSI n°170, « SUKHOI SU-57 : le « Félon » russe se dévoile », Mars-avril 2024.
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