Après un long repli diplomatique d’une trentaine d’années, pendant la « décennie noire » et sous la présidence d’Abdelaziz Bouteflika, depuis 2020, l’Algérie multiplie les initiatives pour asseoir son retour sur la scène régionale et internationale.
Alger s’appuie sur son héritage révolutionnaire et ses atouts géostratégiques, principalement les ressources énergétiques, pour réaffirmer sa place sur l’échiquier géopolitique régional et international. Toutefois, le rebond diplomatique de l’Algérie évolue dans un environnement international et régional tendu, marqué par l’instabilité régionale et l’escalade des tensions avec le voisin marocain sur la question du Sahara occidental, de la guerre en Ukraine et à Gaza dont l’onde de choc a causé un clivage profond au sein de la communauté internationale.
Alger face à l’instabilité régionale
L’Algérie évolue ces quinze dernières années dans un environnement régional très instable. En plus des tensions avec le voisin de l’ouest, l’Algérie est entourée d’États faillis ou plongés dans des crises profondes, provoquant ainsi une instabilité chronique qui a favorisé l’émergence de menaces multiples : terrorisme, trafic en tout genre… L’instabilité s’est amplifiée avec le chaos libyen provoqué par la chute du régime du colonel Kadhafi, favorisant la montée en puissance des groupes armés, qui ont bénéficié de flux importants d’armes vers la région sahélo-saharienne. L’enlèvement de diplomates algériens, le 5 avril 2012, par le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) au consulat d’Algérie à Gao, ainsi que l’attaque du site gazier BP-Sonatrach à Tiguentourine, dans la région d’In Amenas, du 16 au 19 janvier 2013, confirment les inquiétudes d’Alger quant à la menace terroriste à ses frontières sud.
Cela exige d’Alger une politique régionale très couteuse axée sur le sécuritaire pour protéger ses frontières et sécuriser son voisinage. L’embellie de la rente énergétique a permis à l’État algérien d’investir massivement, depuis les années 2000, dans la modernisation de son équipement militaire avec un budget militaire conséquent, passé de 10 à 22 milliards de dollars en 2023. Sur le plan diplomatique, Alger veut s’imposer comme un acteur clé dans la stabilité régionale, en vantant son expérience dans la lutte contre le terrorisme ou dans la gestion de crises, notamment au Mali et en Libye, avec lesquels elle partage respectivement 1 400 km et 1 000 km de frontière. La proximité géographique et les liens historiques ont fait d’Alger le médiateur privilégié des Maliens dans les conflits qui opposent Bamako aux rebelles touaregs depuis plusieurs décennies.
La diplomatie algérienne est mise à rude épreuve par l’évolution que connait la région ces quatre dernières années. D’abord, la frontière ouest est secouée par le regain des hostilités entre les forces marocaines et le Front Polisario, que soutient l’Algérie, en réaction à la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, décidée unilatéralement par le président américain Donald Trump, fin 2020, en échange de la normalisation des relations avec Israël. Cela s’est traduit par l’escalade des tensions entre Alger et Rabat qui s’est soldée par la rupture diplomatique entre les deux pays depuis aout 2021.
Fondée historiquement sur le paradigme de non-ingérence et de non-intervention à l’extérieur, la politique étrangère de l’Algérie est aujourd’hui bousculée, en Libye et au Sahel, par l’immixtion de puissances étrangères dans la région et la prolifération de groupes armés puissants à ses frontières. L’intervention militaire de la Turquie au côté du Gouvernement d’union nationale (GUN) face à l’offensive de l’Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Khalifa Haftar, soutenue par les Émirats arabes unis et l’Égypte, laisse peu de place à la perspective de dialogue que prône Alger.
Au Mali, l’accord d’Alger, fragile mais utile, est aujourd’hui compromis depuis le coup d’État du 24 mai 2021, mené par le colonel Assimi Goïta qui s’est autoproclamé chef de l’État le 28 mai 2022. La reprise des combats entre les rebelles touaregs et l’armée malienne soutenue par le groupe paramilitaire russe Wagner, depuis l’offensive menée par Bamako sur le nord du pays en octobre 2023, a provoqué des tensions entre les dirigeants maliens et Alger qui s’inquiète d’un nouvel embrasement régional.
La guerre en Ukraine : l’Algérie tiraillée entre la Russie et l’Occident
Dixième plus grand producteur du gaz au monde, l’Algérie fait partie des pays qui ont largement bénéficié de la crise énergétique causée par la guerre en Ukraine, déclenchée par la Russie le 24 février 2022, et des sanctions occidentales sur Moscou. Fortement courtisée pour son gaz par une Europe qui cherche des alternatives au gaz russe, Alger a augmenté ses exportations en hydrocarbures, principalement via le gazoduc Transmed qui achemine le gaz vers l’Italie. Grâce à l’embellie des hydrocarbures, l’État algérien a pu amortir le choc de la crise économique provoquée par la chute des cours du pétrole en 2014 et aggravée par la pandémie de Covid-19. Les réserves de change ont presque doublé, passées d’environ 45 milliards de dollars en 2021 à 85 milliards de dollars en 2023. Diplomatiquement, cette crise conforte l’ambition d’Alger de revenir au sein de l’arène internationale et de renforcer ses liens avec l’Union européenne dans un contexte de rivalité avec le Maroc.