Toutefois, la guerre en Ukraine représente un vrai test pour la politique étrangère de l’Algérie. La confrontation binaire entre Russes et Occidentaux, ravivée par ce conflit, met l’Algérie dans une position délicate compte tenu du principe de neutralité, héritage du non-alignement, auquel elle tient. En effet, l’Algérie entretient des relations très étroites avec Moscou, forgées depuis la guerre de libération et entretenues par l’URSS tout au long de la guerre froide. Alger est le troisième client de Moscou après New Delhi et Pékin, et la Russie reste le principal fournisseur d’armes de l’Algérie (73 % entre 2018 et 2022), qui importe à elle seule la moitié des armes russes exportées vers l’Afrique (1).
Fidèle à sa posture de neutralité, Alger a préféré rester en retrait des tensions entre les Occidentaux et la Russie, son allié stratégique. Alger ne valide pas l’intervention russe mais tient les Occidentaux en partie responsables dans l’enlisement du conflit. La position algérienne ne s’explique pas seulement par sa proximité avec Moscou, mais traduit en effet le regard que porte le reste du monde non-occidental sur ce conflit : lors du vote à l’ONU, dans la nuit du 12 au 13 octobre 2022, portant sur la condamnation de l’offensive russe sur l’Ukraine, l’Algérie s’est abstenue (2). En même temps, Alger a accepté d’augmenter l’approvisionnement de son gaz comme alternative au gaz russe, veut convaincre les Européens qu’elle est un partenaire fiable et souhaite, en échange, que ses partenaires européens séparent le conflit en Ukraine de la coopération entre les deux rives de la Méditerranée. Alger a d’ailleurs réouvert son ambassade à Kyiv.
Il importe de souligner que la relation algéro-russe n’est pas fondée sur une alliance inconditionnelle, mais elle est entretenue par la stratégie russe de non-ingérence dans les affaires politiques des États et la convergence de points de vue entre Alger et Moscou qui ont instauré un climat de confiance. En revanche, Alger reste intransigeante face à la pression occidentale quant à sa proximité avec Moscou. D’ailleurs, un contingent militaire algérien a participé, en septembre 2022, aux exercices militaires conjoints « Vostok-2022 » (3) en Sibérie, alors que la guerre en Ukraine s’intensifiait. En octobre 2022, un détachement de navires de la flotte russe a accosté au port d’Alger pour un exercice naval commun en Méditerranée. De plus, l’Algérie a accueilli des manœuvres militaires baptisées « Bouclier du désert-2022 », du 16 au 24 novembre 2022 dans le Sud de l’Algérie (4).
Le déplacement à Moscou du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, le 15 juin 2023, montre qu’Alger n’est pas prête à renoncer à sa proximité avec le Kremlin. Les deux chefs d’État ont même signé une « Déclaration de partenariat stratégique approfondi ». Toutefois, la longévité de la guerre en Ukraine et les incertitudes quant à la capacité de l’industrie militaire russe de satisfaire l’approvisionnement de ses clients interrogent. L›Algérie pourrait être tentée ou contrainte de diversifier ses partenaires, d’autant que le soutien de la Russie n’a pas suffi pour l’adhésion du géant maghrébin aux BRICS.
La Chine et les BRICS : enjeux et perspectives
En novembre 2022, l’Algérie a officiellement déposé une demande d’adhésion au groupe des BRICS, créé en 2009, par le Brésil, la Chine, l’Inde et la Russie, rejoint par l’Afrique du Sud en 2011. Le président Abdelmadjid Tebboune a participé par visioconférence au sommet des BRICS de Pékin, le 24 juin 2022, baptisé « BRICS+ » en raison de la participation d’une douzaine d’autres pays, candidats potentiels à l’adhésion. Pourtant, malgré l’enthousiasme affiché par le président algérien et l’activisme diplomatique, l’Algérie a vu sa candidature refusée lors du sommet du 22 aout 2023. Alger comptait sur son potentiel géostratégique pour faire valoir sa demande. En outre, l’Algérie bénéficie de liens forts avec l’Afrique du Sud, la Chine et la Russie sur lesquels elle comptait beaucoup pour son adhésion aux BRICS.
L’intégration d’un tel groupe s’inscrit dans la volonté algérienne de redynamiser son économie et de diversifier ses partenaires. Cela constituerait une alternative à l’échec de l’intégration régionale au sein du Maghreb et aux limites que rencontre la coopération euromaghrébine, notamment depuis l’élargissement de la coopération à d’autres États comme Israël, décidé par le président français Nicolas Sarkozy lors du lancement de l’UpM en 2008. Faute de l’adhésion aux BRICS, l’Algérie va devoir compter sur ses relations avec la Chine.