Quant à un soutien arabe au soulèvement palestinien, il demeure plus qu’hypothétique. Certes, les « accords d’Abraham » de 2020 et la dynamique de reconnaissance d’Israël par des pays arabes (Émirats arabes unis, Bahreïn, Soudan, Maroc) semblent enrayés : les monarchies du Golfe ont pris des distances avec Israël, et l’Arabie saoudite écarte pour l’instant toute tentative de normalisation avec l’État hébreu. Mais les membres de la Ligue arabe préfèrent le statu quo et la logique de négociation à toute explosion de la Cisjordanie.
Il est un autre facteur qui bloque le passage à une troisième Intifada : le rapport des groupes armés à l’ANP. Certes, la Brigade de Jénine et la Tanière des lions de Naplouse ont exclu d’affronter militairement les membres des forces de sécurité palestiniennes – au nom de l’unité nationale et pour éviter une guerre civile. Mais la coopération sécuritaire entre l’ANP et l’armée israélienne entrave leurs mouvements. Surtout, nombre de jeunes activistes ont été incarcérés par la Sûreté préventive palestinienne. La colère contre l’exécutif de Mahmoud Abbas est patente. Lorsque les troupes israéliennes se retirent de Jénine, le 5 juillet 2023, après deux jours d’intenses combats, Mahmoud al-Aloul, vice-président du Fatah, et Azzam al-Ahmad, membre du Comité exécutif de l’OLP, se rendent dans la ville pour rendre hommage aux victimes de l’incursion : ils sont expulsés par la foule. Une semaine plus tard, Mahmoud Abbas effectue son premier déplacement officiel à Jénine depuis onze ans : ses services de sécurité sont contraints de limiter dans le temps et l’espace une visite marquée par un accueil populaire froid.
Moins qu’une Intifada, plus qu’un simple soulèvement ? Tout le monde a les yeux fixés sur la Cisjordanie : l’Intifada n’y est pas ouverte, elle est « rampante », faite d’attaques quasi quotidiennes contre l’armée et les colons et où émergent de petites zones autonomes constamment insurgées. Les Israéliens craignent une interconnexion régionale des différents fronts palestiniens et libanais, tandis que l’ANP se demande justement comment rétablir… son autorité sur des morceaux de territoire échappant à son contrôle. La colère contre l’ANP atteint même les rangs des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa : à Tulkarem, elles exigent la libération des jeunes Palestiniens emprisonnés par l’ANP et désobéissent explicitement aux consignes d’appel au calme de leur propre parti, le Fatah. Le huitième congrès du Fatah doit se tenir en décembre 2023 (le dernier date de 2016), mais les divisions sont nombreuses au sein du mouvement de Yasser Arafat depuis l’annulation des élections législatives et présidentielle palestiniennes de mai 2021, et de frondes animées par Nasser al-Qidwa, expulsé du comité central du mouvement, et par le député emprisonné Marwan Barghouti. C’est dire aussi que l’avenir de cette Intifada rampante se joue au sein même d’un parti à deux visages : il y a le Fatah intégré à l’appareil protoétatique de l’ANP, assurant salaires et stabilité de l’emploi aux membres des forces de sécurité et aux employés du service public, et il y a le Fatah insurgé et populaire des « jeunes lions ».
Note
(1) Lisa Taraki, « Sociologie de la situation révolutionnaire/rebelle en Palestine » (en arabe), in Revue des études palestiniennes, no 135, été 2023.
Légende de la photo en première page : Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, tente de réconcilier Mahmoud Abbas et Ismaïl Haniyeh, à Ankara, le 26 juillet 2023. © Xinhua/Mustafa Kaya