Comme tous les conflits récents, la guerre en Ukraine a été le théâtre de nouvelles avancées spectaculaires en matière d’utilisation de drones aériens, qui n’a jamais été aussi intensive. Pour contrer ces menaces protéiformes, Russes comme Ukrainiens ont déployé d’importants systèmes de lutte anti-drones, et ont surtout improvisé de nouvelles tactiques permettant de contrer les attaques saturantes de drones kamikazes.
Depuis le début de l’invasion russe, la médiatisation du conflit ukrainien a permis de suivre quasi au jour le jour l’utilisation qui a été faite des drones, de part et d’autre. Du côté ukrainien, les drones tactiques de grandes dimensions, comme le Bayraktar TB2, ont été largement employés dès le début des hostilités, leur apparente impunité face à la défense antiaérienne russe étant même utilisée à des fins de propagande. D’autres modèles plus spécifiques, notamment les drones kamikazes Switchblade, ont rapidement été observés sur le front. Mais, au fil des semaines, c’est aussi l’usage de petits drones commerciaux qui a défrayé la chronique, du côté ukrainien. Utilisés directement par les artilleurs, les fantassins et les forces spéciales, ces petits engins ont considérablement renforcé la connaissance tactique en temps réel, et permis le guidage précis des feux d’artillerie. Rapidement bricolés, plusieurs modèles ont été adaptés pour mettre en œuvre des grenades ou des obus de mortier, faisant peser une menace permanente sur les troupes ennemies. Du côté russe, on retrouve peu ou prou les mêmes usages, bien que l’utilisation de drones commerciaux semble nettement moins systématique. Toutefois, dès l’automne 2022, les forces russes ont commencé à déployer plusieurs centaines de drones kamikazes Shahed‑136 – désignés localement Geran‑2 – dans le cadre d’attaques saturantes sur des infrastructures civiles et militaires ukrainiennes.
Face à une telle disparité de modèles de drones et de modes de guidage, il est impossible de mettre en œuvre des solutions de lutte anti-drones (LAD, ou C‑UAV en anglais) universelles. Pour autant, si les drones se sont avérés redoutables tout au long du conflit, aussi bien contre les colonnes blindées russes que contre les centrales électriques ukrainiennes, leur omniprésence sur le théâtre des opérations a poussé l’Ukraine – et dans une moindre mesure la Russie – à développer des parades diverses, mêlant techniques classiques de défense antiaérienne et véritables ruptures technologiques et conceptuelles.
Brouilleurs et « fusils électromagnétiques » pour contrer les minidrones
Face aux minidrones issus du commerce, et généralement téléopérés par une liaison radio, le brouillage est souvent la réponse la plus adaptée, d’autant plus qu’elle permet une mise hors service de la menace sans avoir à la détruire, et donc sans avoir à risquer des retombées de débris sur des populations civiles. Il peut s’agir de solutions de brouillage de zone ou de brouillage sectoriel, comme la solution mobile TITAN C‑UAS, fournie à l’Ukraine par la firme américaine BlueHalo, ou encore la solution (très) lourde Krasukha‑4, mise en œuvre par les forces russes. Pour une solution plus dirigée, permettant d’éviter de brouiller ses propres systèmes, Russes et Ukrainiens mettent également en œuvre des brouilleurs directionnels, parfois appelés fusils brouilleurs ou fusils électromagnétiques. Ces équipements agissent à courte et à moyenne portée en empêchant le drone de communiquer avec son contrôleur. Rendu inopérant, l’UAV va généralement retourner à sa position initiale, ou se poser sur place, ce qui permet éventuellement de le récupérer. La Russie utilise notamment le système Stupor, tandis que l’Ukraine semble mettre en œuvre le KVS G‑6, de conception nationale, ou encore l’EDM4S SkyWiper du fabricant lituanien NT Service, utilisé dans le Donbass dès 2021. On notera par ailleurs que certaines sources évoquent l’utilisation, par la Russie, du système de laser défensif Peresvet, conçu avant tout pour aveugler ou endommager des drones et des aéronefs légers.
Des canons et des missiles de tous horizons
Mais ces solutions, aussi efficaces soient-elles contre les menaces asymétriques, ne le sont pas face aux drones kamikazes d’origine iranienne. En effet, contrairement aux Switchblade américains, les Shahed‑136 sont des drones de très longue portée destinés à attaquer uniquement des objectifs prédésignés. Mais cette incapacité à frapper des cibles d’opportunité a l’avantage – pour la Russie – de rendre ces engins insensibles au brouillage électromagnétique de courte portée, imposant des méthodes d’interception plus conventionnelles. Or ces engins volent également plus bas et plus lentement que des avions ou des hélicoptères conventionnels, tout en ayant une signature radar bien plus faible. Une problématique que l’on rencontre également chez certains drones tactiques, comme le TB2 turc ou les Orlan‑10 et Eleron‑3 russes, qui échappent souvent aux systèmes de défense antiaérienne classiques, malgré une altitude de croisière plus élévée.
Dès lors, l’interception de ces engins requiert non seulement des moyens cinétiques aptes à assurer leur destruction, mais aussi des systèmes de détection et de ciblage adaptés, ce qui implique généralement des capteurs thermiques, ou des systèmes radars spécifiquement adaptés à ces menaces. Au début du conflit, la Russie comme l’Ukraine ont notamment utilisé d’antiques canons S‑60 de 57 mm, des véhicules ZSU‑23‑4 Shilka armés de quatre canons de 23 mm, ainsi que des systèmes 2K22 Tunguska qui combinent quatre canons de 30 mm et huit missiles sol-air de moyenne portée, pour des résultats assez décevants en matière de lutte anti-drones, faute de moyens de ciblage adaptés à ces menaces discrètes. Mais, depuis le début des hostilités, l’Ukraine a réceptionné de nombreux systèmes occidentaux bien plus efficaces. L’Allemagne a ainsi fait don de 50 SPAAG Guepard, des véhicules chenillés équipés d’un radar et de deux canons de 35 mm, apparemment très efficaces dans cette mission. Les États-Unis ont également cédé 150 mitrailleuses lourdes couplées à des lunettes thermiques, et de nombreuses solutions similaires ont, semble-t‑il, été improvisées par les forces ukrainiennes à partir d’affûts, de mitrailleuses, d’optiques et de véhicules variés.
Pour les interceptions de Shahed‑136, mais aussi de drones tactiques lourds et de missiles de croisière, la défense ukrainienne semble avoir fait souvent usage de missiles légers de type MANPADS, notamment des Stinger (États-Unis), Mistral (France), RBS70 (Suède) et autres Piorun (Pologne), qui ont l’avantage de cibler directement la chaleur émise par la motorisation de ces drones, même s’ils restent sous l’horizon radar. Si ces systèmes s’avèrent très efficaces contre ce type de drones, ils restent des armes bien plus coûteuses que de simples mitrailleuses. Et s’ils peuvent être déployés près des sites sensibles, ils ne peuvent couvrir l’intégralité du territoire ukrainien, surtout à partir du moment où la Russie a planifié ses attaques saturantes de nuit.