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Explosion de violence en Équateur en « guerre contre les terroristes »

Comment l’Équateur, épargné jusqu’à récemment des hauts niveaux de criminalité subis ailleurs sur le continent, a-t-il pu connaitre une telle augmentation de la violence en un laps de temps si court ?

Dimanche 7 janvier 2024, lors d’une opération de contrôle menée conjointement par la police et les forces armées dans la prison du Littoral à Guayaquil, le commandant de la police, César Zapata, a constaté l’absence de José Macías, alias « Fito ». Il semble que le reclus ait eu un accès opportun à des informations sur cette opération, effectuée dans le cadre du « plan Fénix » annoncé en décembre, lui ayant permis de s’évader à temps. Le degré d’influence du leader de Los Choneros, l’un des gangs les plus puissants d’Équateur, peut être mesuré à l’aune de sa capacité à obtenir des renseignements et à franchir l’enceinte de la prison. Le lendemain, le président récemment arrivé aux fonctions, Daniel Noboa, déclarait avoir donné « des instructions claires et précises aux commandements militaires et policiers pour qu’ils interviennent dans le contrôle des prisons », dans le cadre d’un état d’exception dont il annonçait la signature du décret (1) « pour que les forces armées aient tout le soutien politique et légal dans leur action ».

Le 9 janvier, des membres présumés de Los Choneros ont pris d’assaut le studio de TC Televisión à Guayaquil, prenant en otage l’équipe présente lors d’une émission en direct. Plus tard dans la même journée, le président Noboa a promulgué le décret n°111 (2) par le biais duquel est instauré un « état de conflit interne », qui qualifie formellement en tant que terroristes Los Choneros et une vingtaine d’autres organisations criminelles. Dans l’article 5 dudit décret, il y est ordonné « aux forces armées de mener des opérations militaires […] pour neutraliser les groupes identifiés comme terroristes ». Plusieurs actes de violence ont simultanément éclaté à l’université de Guayaquil, dans plusieurs centres de santé de la même ville, et ailleurs dans le pays.

L’Équateur face à la spirale de la violence et de la criminalité

Pour comprendre cette augmentation de la criminalité dans un pays qui était jusque-là épargné, il conviendrait de s’intéresser de près à un nombre non négligeable de facteurs qui ont convergé. Il s’agit cependant d’une entreprise qui nécessiterait des approfondissements dont cet article n’a pas l’ambition. Mais nous soulèverons certains points qui ont pu avoir un impact direct : l’augmentation des activités liées au narcotrafic, favorisées par un affaiblissement actif des institutions, en premier lieu celles liées à la sécurité, au cours des derniers gouvernements.

Si l’on regarde les chiffres de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), durant les années de présidence de Rafael Correa (2007-2017), l’Équateur a vu réduire d’année en année la violence sur son territoire. En 2007, 16 morts violentes pour 100 000 habitants ont été enregistrées. À sa sortie du pouvoir en 2017, l’Équateur était le quatrième État le moins violent du continent latino-américain et caribéen, derrière l’Argentine, le Chili et Cuba, avec 5,8 morts violentes pour 100 000 hab., soit une évolution de -63.5 % (3).

L’année 2017 a cependant constitué un point d’inflexion. Les données enregistrées à partir de cette année font état d’une augmentation de la violence comme jamais n’a eu à la subir ce pays andin. Lenín Moreno (2017-2021) a conclu sa présidence avec un taux de 14 morts violentes pour 100 000 hab., soit une évolution de 141 % par rapport à l’année de son investiture. Durant le court mandat de Guillermo Lasso (2021-2023), l’Équateur a enregistré 27 morts violentes pour 100 000 hab. en 2022, soit une progression de 92,5 % par rapport au bilan de son prédécesseur, et de 365 % par rapport à 2017. En 2023, l’Équateur a probablement été le pays le plus gravement frappé du continent américain, derrière la Jamaïque, enregistrant le plus haut taux de morts violentes de son histoire : 46,5 pour 100 000 hab., soit une progression de 700 % par rapport à 2017 (4).

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