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Explosion de violence en Équateur en « guerre contre les terroristes »

L’arrivée de Moreno à la présidence de l’Équateur en 2017 a marqué un changement dans la trajectoire politique du pays, avec des répercussions sur les institutions de l’État, en l’occurrence sur le système pénitentiaire et la police nationale, qui ont vu une réduction de leurs budgets. À travers le décret n°7 du 24 mai 2017 (5), Moreno a donné le ton de ce que serait sa présidence : plusieurs ministères ont été éliminés ou fusionnés, dont le ministère de Coordination de la sécurité, créé par son prédécesseur. En septembre 2018 (6), le Secrétariat national du renseignement a été supplanté par le Centre de renseignement stratégique, une opération qui s’est traduite, entre autres, par une réduction des effectifs. La suppression du ministère de la Justice, actée par décret (7) le 14 novembre 2018 (8), est d’ailleurs un facteur directement lié à l’actuelle crise pénitentiaire. Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme réitérait, en 2022, sa « profonde préoccupation face à la violence qui secoue périodiquement ce pays ». « De décembre 2020 à mai 2022, pas moins de 390 personnes sont mortes dans les prisons équatoriennes (9). »

Ces suppressions, fusions et restructurations de ministères et services liés à la sécurité, ainsi que les coupes budgétaires qui les accompagnèrent, ont semblé davantage correspondre à une lutte de pouvoir interne entre factions politiques pour leur contrôle qu’à des réagencements visant une optimisation de leur fonctionnement ou à des ajustements pour cause de mauvaise performance économique nationale.

Le haut degré de corruption au sein de l’État équatorien a également participé à l’affaiblissement de ses capacités de réponse face à la criminalité. À commencer par la plus haute magistrature, ce qui a certainement contribué à sa banalisation en aval, au sein des différents ministères et services de l’État, des forces de l’ordre, de l’armée, des établissements pénitentiaires, etc. Au cours de son mandat, Moreno s’est vu impliquer dans des affaires de corruption, comme le cas Sinohydro révélé en 2019, ou encore les « INA Papers ». Il en est allé de même pour son successeur, Guillermo Lasso, impliqué dans les « Pandora Papers », ainsi que dans le scandale du caso Encuentro (« cas Rencontre »), connu aussi sous le nom d’El gran padrino (« Le grand parrain »). Les investigations faites dans le cadre de cette affaire ont permis de révéler la structure du narcotrafic de la mafia albanaise implantée en Équateur, en coordination avec des personnes placées à des postes clés ou ayant une influence au sein de l’État, notamment le beau-frère du président Lasso.

Dans un tel climat de généralisation des activités liées au narcotrafic, de désordre politico-institutionnel et de corruption à plusieurs échelles, les effets de la pandémie due au virus SARS-CoV-2 sont venus accabler davantage l’Équateur, dont le nombre de morts violentes a doublé, passant de 7,8 pour 100 000 hab. en 2020 à 14 en 2021. Au demeurant, les images des personnes mortes par manque d’accueil dans les centres de santé et des cadavres laissés dans les rues à cause du débordement des morgues ont frappé particulièrement fort les esprits. À ce point laissés pour compte, les territoires équatoriens ont servi de terreau fertile aux organisations criminelles régionales, qui ont estimé le moment propice pour intensifier le développement de leurs activités déjà en cours dans ce pays, en s’appuyant davantage sur les gangs locaux.

Un narco-État ?

En parfaite maitrise d’un savoir-faire depuis longtemps acquis, les cartels les plus puissants de la région propulsent l’Équateur aux premiers rangs d’un circuit commercial illicite et mondialisé.

En 2023, les ports équatoriens ont pris le dessus sur les ports colombiens, se positionnant comme le point d’origine majeur des 121 tonnes de cocaïne saisies en Belgique, un chiffre record (10). Dans le cadre du commerce maritime containérisé, la cocaïne saisie se trouve souvent dissimulée dans des cargaisons de bananes, l’un des trois principaux biens d’exportation de l’Équateur. En ce sens, et compte tenu de la profusion récente du narcotrafic à partir de ce pays, il serait intéressant d’observer à quel point les exportations de pétrole brut ou de crevettes se trouvent mises à profit pour ces activités de contrebande.

Outre le haut degré de corruptibilité (volontaire ou forcée sous la pression des narcotrafiquants) de certains agents de l’État ou leur faible présence sur le terrain, l’Équateur comporte au moins deux autres avantages comparatifs pour le trafic de stupéfiants : la géographie et le dollar américain. Ce dernier, idéal pour opérer le blanchissement des revenus du narcotrafic et, plus largement, maintenir la fluidité des transactions internationales, est la monnaie officielle en cours en Équateur. D’autre part, ce pays sud-américain offre une position géographique stratégique pour le commerce des drogues illicites.

Le rapport 2023 de l’ONUCD indique que la production de coca ainsi que la manufacture de cocaïne ont doublé au cours de la dernière décennie et battu un record en 2021. Concernant la culture du cocaïer, trois territoires dont ceux des deux États avec qui l’Équateur partage sa frontière détiennent presque à eux seuls l’entièreté des hectares cultivés en 2021 : la Colombie (204 000 ha), le Pérou (80 700 ha) et la Bolivie (30 500 ha) (11). Concernant la manufacture de la cocaïne, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies indique que celle-ci continue de se dérouler en Colombie, au Pérou et en Bolivie et, qu’ensemble, ces pays comptent pour la majorité des laboratoires de cocaïne démantelés à l’échelle mondiale. « Cependant, il existe des preuves que le chlorhydrate de cocaïne est raffiné ailleurs en Amérique du Sud, plus loin le long des routes de trafic, et désormais également de plus en plus en Europe. » Par ailleurs, « en 2020 et 2021, l’éradication de plantations de coca a été signalée non seulement dans des pays proches des trois producteurs andins traditionnels tels que l’Équateur, mais aussi plus loin, en Amérique centrale […] » (12).

Suivant le renseignement équatorien, qui poursuit ses activités d’intelligence malgré les perturbations précitées, le cartel de Sinaloa travaille principalement avec Los Choneros et autres groupes criminels en tant qu’opérateurs locaux. De son côté, le cartel de Jalisco Nouvelle Génération est articulé avec des groupes rivaux tels que Los Lobos (13). Les cartels, mexicains en l’occurrence, s’appuient sur un réseau de partenaires partout à l’échelle du continent américain et du monde. Or, aux niveaux régional et local, le besoin de contrôler l’accès aux nœuds logistiques (ports, routes, etc.) et aux ressources, essentiels au narcotrafic, devient l’objet de luttes de pouvoir particulièrement sanglantes entre leurs opérateurs locaux et autres groupes concurrents, comme la mafia albanaise. Au milieu de cette rivalité criminelle de pouvoir, le territoire équatorien a ainsi été marqué, au cours de l’année 2023, par l’assassinat de maires en exercice, de plusieurs candidats aux élections municipales, à l’Assemblée nationale et à la présidence même de l’Équateur.

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