2 novembre 2028 : la guerre de Taïwan vient de commencer par une salve de missiles hypersoniques qui frappent les radars à longue portée de l’« île rebelle », de même que les positions connues des batteries antimissiles. En quelques heures, ces capacités sont réduites de 70 %, ouvrant la voie à des centaines de missiles balistiques et de croisière qui s’abattent notamment sur les bases aériennes de l’île, détruisant méthodiquement pistes et taxiways. Cette action est le prélude à une invasion où les éléments survivants de la Republic of China air force (ROCAF) seront en première ligne.
Ce scénario était inimaginable encore dans les années 1980, mais a gagné en crédibilité au fur et à mesure d’une dialectique qui a vu une perte de puissance taïwanaise et une montée en puissance chinoise. Elle n’avait rien d’inéluctable et a dû pour beaucoup au revirement diplomatique américain, mais est un très beau cas de figure d’antidéterminisme de la stratégie militaire. Équipée et entraînée par les États-Unis, la ROCAF reçoit des P‑47 Thunderbolt et des P‑51 Mustang, mais aussi des B‑25 et des B‑26 en 1949. Dès 1951, elle est équipée de F‑84G Thunderjet, ses premiers appareils à réaction. À l’avantage qualitatif du matériel, il faut ajouter l’expérience de pilotes nationalistes face au Japon durant la Deuxième Guerre mondiale. Ces différents facteurs concourent à donner la supériorité aérienne à la ROCAF et vont considérablement l’aider lorsqu’il s’agira de repousser des assauts amphibies – sans que tous (sur Hainan ou les Wonshan) puissent l’être (1).
Le développement capacitaire
Elle est ensuite dotée des appareils américains les plus récents – 250 F‑86 Sabre, F‑100 Super Sabre, F‑104 Starfighter et des RB‑57 de reconnaissance – et est la première force aérienne à employer au combat le missile air-air AIM‑9 Sidewinder. Cette supériorité autorise un taux d’échange d’au moins 4 à 5 pour 1 en faveur de la ROCAF. Un dernier dogfight a lieu le 13 janvier 1967, deux J‑6 Farmer, version sinisée du MiG‑19, étant abattus par des F‑104. Ensuite, la confrontation devient essentiellement symbolique et le positionnement de la ROCAF se joue sur un plan de nature dissuasive, avec une forte attention portée à la supériorité aérienne plus qu’aux opérations air-sol ou antinavires. C’est ce que traduit la stratégie des moyens de Taïpei. Au fil des ans, 247 F‑104 serviront sous la cocarde taïwanaise, les derniers reçus étant des machines ex-danoises ou allemandes sorties de service dans les années 1970 et 1980. À partir de 1973, la ROCAF reçoit également 308 F‑5E/F, produit sous licence par AIDC (programme Peace Tiger, en six volets), et dont les derniers exemplaires, des RF‑5 de reconnaissance, quitteront le service en 2024.
Les années 1990
L’étape suivante aura tardé : si la commande de 120 F‑16A et 30 F‑16B Block 20 intervient en 1992, Taïpei faisait pression pour acquérir l’appareil dès la fin des années 1970, en même temps que des F‑20 Tigershark. Les premiers F‑16, qui correspondent au standard MLU qui se répand alors dans les forces aériennes européennes – différence de taille, ils ne peuvent pas tirer l’AIM‑120 AMRAAM ni de munitions air-sol –, entrent en service au début de 1997, même si Taïwan désirait acquérir des F‑16C/D. Les derniers sont livrés en 2001. À partir de 1998, leurs capacités évoluent. Recevant des pods de ciblage/désignation de cible, ils seront aussi équipés de missiles AIM‑120, Harpoon et Maverick. Leur électronique sera également modernisée et certains appareils seront équipés de pods de reconnaissance AN/VDS‑5, 80 pods de contre-mesures électroniques AN/ALQ‑184(V)7 étant également reçus. En revanche, ils ne seront pas dotés des missiles TC‑2 et Hsiung Feng II que Taïpei désirait intégrer.
Les années 1990 correspondent aussi à l’entrée en service de deux autres types d’appareils, dont un de conception nationale. D’une part, les hésitations américaines à vendre des F‑16 seront rapidement analysées comme le signe de la nécessité de disposer d’une capacité de production locale. En découleront, dès 1983, les premiers travaux menés sur le futur F‑CK‑1A/B Ching Kuo (voir encadré). Conçu avec l’aide américaine, l’appareil entrera en service à partir de 1994, à raison de 130 exemplaires (là où Taïwan espérait pouvoir en commander 250). D’autre part, le programme Fei Lung (« dragon volant ») découle des négociations ayant abouti à la déclaration française de 1992 selon laquelle Paris était prêt à vendre des Mirage 2000‑5 à Taïwan. Dans un premier temps, il était question d’acquérir 120 appareils, mais les ambitions taïwanaises ont dû être revues à la baisse, seuls 48 Mirage 2000‑5EI (monoplaces) et 12 Mirage 2000‑5DI (biplaces) étant finalement commandés. Livrés à partir de mai 1997 (les derniers l’étant fin novembre 1998), ils disposent d’un armement air-air, Taïpei ayant également commandé 960 missiles MICA et 480 Magic II.
Les années 1990 ont également vu une modernisation de la défense aérienne, neuf batteries de six lanceurs quadruples Patriot entrant initialement en service – plus de 72 lanceurs sont à présent disponibles –, de même que six batteries à six lanceurs de Tien Kung/Sky Bow, avant que n’entrent en service les Tien Kung/Sky Bow II et III, ce dernier ayant une capacité antimissile. Là aussi, le nombre de lanceurs s’est depuis accru. La défense aérienne comptait également 36 batteries à 18 lanceurs triples Hawk modernisées, dont le nombre a été peu à peu réduit – nombre d’entre-elles ayant été rachetées par les États-Unis pour être expédiées en Ukraine. L’ensemble est adossé à un système dense de surveillance aérienne qui était considéré, à la fin des années 1970, comme l’un des meilleurs du monde et qui a depuis été modernisé avec l’entrée en service de nouveaux radars au début des années 2000 (voir encadré no 2).
Surtout, la ROCAF commande en 1993 quatre E‑2T Hawkeye et modifiera un C‑130H, spécifiquement acheté pour l’occasion, en appareil de renseignement électronique. De la sorte, au-delà de l’acquisition d’appareils de combat, elle se dotait de véritables multiplicateurs de puissance, capables d’assurer une détection aérienne permanente au-dessus du détroit de Taïwan – mais aussi d’une partie de la Chine continentale. Arrivés sur l’île en 1995, les premiers appareils étaient officiellement des E‑2B d’occasion, mais, les médias taïwanais indiqueront rapidement qu’il s’agissait en fait d’E‑2C Group II spécifiquement construits pour répondre à la commande de Taïwan et dotés du radar AN/APS‑145 (d’une portée maximale de 644 km), plus performant que celui équipant l’E‑2B. En 1999, une nouvelle vente de deux E-2T 2000 sera annoncée, pour un montant de 400 millions de dollars. Depuis, tous les appareils ont été modernisés.