Les années 2000 : limiter la perte capacitaire
Si Taïpei désire depuis le début des années 2000 acheter des F‑35, Washington a toujours refusé cette vente, jugée trop sensible. En lot de consolation, Taïwan a finalement été autorisée, au terme de plus de 10 ans de négociations, à moderniser 139 F‑16A/B au standard F‑16V à partir de kits dans le cadre du programme Peace Phoenix Rising. Un premier appareil a été livré dès 2018 et le dernier l’a été en décembre 2023. La vente de 66 nouveaux appareils, pour huit milliards de dollars, est également autorisée, la production débutant dans l’usine de Grenville en 2019. Tous les appareils sont dotés du radar à antenne active AN/APG‑83, de la Liaison‑16, un viseur de casque et peuvent recevoir le pod de désignation Sniper et le pod IRST (Infrared search and track) Legion. Leur système de navigation est également revu et les nouveaux appareils auront une durée de vie de 12 000 heures, contre 8 000 pour les F‑16 initialement reçus. Depuis, Taïwan a également commandé des AGM‑88 HARM (High speed antiradiation missile) antiradars et a multiplié les commandes d’AIM‑120. Plus récemment, elle a cherché à acquérir des missiles de croisière AGM‑158 JASSM (Joint air-to-surface standoff missile), mais n’a été autorisée qu’à acheter une cinquantaine d’AGM‑154 JSOW (Joint standoff weapon) planantes qui ne permettent pas de frapper dans la grande profondeur du territoire chinois.
Les années 2000 ont également vu le lancement du programme de modernisation des F‑CK‑1A/B Ching Kuo en F‑CK‑1C/D Hsiung Ying, centré sur l’adoption d’une avionique modernisée et bénéficiant d’une capacité d’emport plus diversifiée. Après un premier vol en 2006, le programme est effectivement mis en œuvre en 2007, les derniers étant livrés en 2018. Les progrès réalisés serviront également de base à la conception de l’AT‑5 Brave Eagle, un appareil d’entraînement avancé et d’entraînement au combat dont le programme a été lancé en 2017 et un premier vol conduit en 2020. S’il a la même motorisation que le Ching Kuo, une bonne partie de ses composants sont neufs, y compris sa structure en composite. Soixante-six appareils ont été commandés, avec des capacités d’attaque supérieures à celles de l’AT‑3 et du F‑5F qu’ils remplacent.
Face à la Chine
L’équation en termes de stratégie aérienne s’est complexifiée pour Taïwan. Washington freinant sa modernisation capacitaire, l’État connaît un double décrochage quantitatif face à la Chine continentale. D’une part, en termes de nombre d’appareils, dont la qualité s’accroît par ailleurs et qui induit un changement de donne de premier plan : Taïwan n’a plus le bénéfice de la supériorité aérienne depuis le début des années 2000. D’autre part, la polyvalence effective des opérations joue à présent autant au bénéfice de Taïpei qu’à celui de Pékin. Même si Taïwan maintient un très bon niveau qualitatif de ses pilotes, avec un nombre substantiel d’heures de vol, Pékin rattrape ainsi son retard en termes d’opérations aériennes complexes, y compris nocturnes, tout en multipliant les types d’armement à disposition ; dans un contexte où la mise en place des commandements de théâtre favorise l’intégration interarmées en temps de guerre comme l’entraînement en temps de paix (2).
Pour quel résultat ? Il faut ici constater qu’une guerre contre Taïwan n’impliquerait pas que l’aviation et l’aéronavale chinoises, mais aussi la force balistique la plus puissante au monde. En quelques jours, les plus importantes installations fixes taïwanaises seraient probablement détruites ou sérieusement endommagées. Nombre de postes de commandement seraient probablement encore intacts, mais ne pourraient plus s’appuyer sur une grande quantité de capteurs ; et il est possible que l’environnement électromagnétique soit saturé, limitant la qualité des communications. Mais, outre les frappes balistiques préalables, il est probable que la Chine cherche à établir une supériorité aérienne locale, en tirant parti de l’accroissement de la portée de ses missiles air-air, dans une logique d’ouverture de théâtre (3). L’idée serait d’éliminer le plus rapidement possible les E‑2T et les stations radars fixes – privant ainsi de contrôle les chasseurs ayant échappé aux frappes balistiques. Pendant ce temps, la Chine pourrait elle-même utiliser son grand nombre d’appareils de détection aérienne avancée pour imposer et contrôler la bataille aérienne, non plus au-dessus d’un détroit de Taïwan qui servait de zone tampon jusque dans les années 1990, mais bien au-dessus de l’île elle-même.
Y parvenir constituerait sans doute pour la Chine l’effet majeur de sa campagne contre Taïwan. À ce moment, les capacités aériennes taïwanaises résiduelles, qui opéreraient sans doute de manière dispersée depuis des routes et autoroutes – un type de déploiement très fréquemment pratiqué par la ROCAF –, seraient sans doute prises à partie dès le décollage. Il en serait de même de très hypothétiques F‑35B que Taïwan réclame, qui seraient encore moins dépendants des infrastructures et pourraient être opérés depuis les zones les plus montagneuses, difficiles à cibler pour la Chine (4). Mais une fois les combats menés au-dessus de l’île, plus rien d’autre ne s’opposerait à la Chine sinon des batteries antiaériennes, de moins en moins capables d’interdire le ciel aux appareils chinois, épuisement des stocks de munitions et destruction des batteries faisant. Les appareils chinois pourraient alors couvrir sans problème les opérations amphibies, de moins en moins gênées par des batteries de défense côtière elles aussi traitées par voie aérienne.