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Bataille aérienne pour les cieux de Taïwan

Pareil scénario est-il inéluctable ? Pas nécessairement. La clé de la résistance taïwanaise résidera dans la rapidité de mise en œuvre de la défense aérienne, que ce soit par la dispersion des appareils avant l’attaque, par la pleine exploitation des préavis d’alerte et par une combinaison appropriée entre défense aérienne et engagement de la chasse. Comme en Ukraine, les capacités antiaériennes pourraient s’avérer cruciales : certes, elles ne permettront pas d’absorber l’intégralité des raids chinois, mais elles pourraient infliger d’importantes pertes ; avec une incidence ensuite sur l’aptitude à poursuivre les actions en cas d’engagement américain. De facto, le rapport de force numérique au terme de ce premier choc ne resterait favorable à Taïpei que si et seulement si la 7e flotte était engagée, éventuellement appuyée par l’US Air Force. Où l’on en revient donc toujours à la question de la posture de Washington… 

Notes

(1) Joseph Henrotin, « Les ailes du dragon. La Republic Of China Air Force face à la Chine », Défense & Sécurité Internationale, no 34, février 2008 ; Benoist Bihan, « L’impossible équation stratégique de la Republic of China Air Force », Défense & Sécurité Internationale, no 108, novembre 2014.

(2) Voir Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 68, octobre-novembre 2019.

(3) Philippe Langloit, « Nouvelle donne pour les missiles air-air », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 78, juin-juillet 2021.

(4) S’il est extrêmement peu probable que Washington accède aux demandes taïwanaises, la question de la vente d’occasion d’un reliquat d’AV-8B disposant d’encore un peu de potentiel se pose. Jusqu’ici, elle ne semble pas avoir été officiellement évoquée.

Le F-CK-1 Ching Kuo

Formalisé en 1983 à la suite du refus américain de vendre à l’île des F‑16 et des F‑20, le programme taïwanais d’Indigenous Defence Fighter (IDF), le futur Ching Kuo (nom d’un ancien président taïwanais et fils de Chiang Kaï-chek) a néanmoins bénéficié d’un appui américain au niveau de la cellule et du cockpit (General Dynamics), du radar (General Electric) et de la motorisation (Garrett). L’appareil a effectué son premier vol en 1989. Les derniers F‑CK‑1A (monoplaces)/B (biplaces), de la première génération (An Hsiang) ont été réceptionnés en 2000. Biréacteur trahissant l’aide américaine reçue – son cockpit a une disposition proche de celui du F‑16 et a reçu des équipements israéliens (HUD Elbit) –, le Ching Kuo dispose de commandes de vol électriques à triple redondance et d’un radar Doppler multimode GD‑53, en fait dérivé de l’APG‑67 (conçu initialement pour le F‑20 Tigershark et dérivé de l’APG‑66 du F‑16A). Travaillant en bande X, il peut suivre 10 cibles et permet d’en engager une, et dispose d’une capacité look-down/shoot-down.

Ayant connu une modification de leur système de gestion de carburant en 1995 (après la perte accidentelle d’un appareil), ils seront ensuite modernisés en 1998 par l’adjonction d’un Radar warning receiver (RWR) amélioré, d’un système ILS, de lance-­leurres ALE‑47 et d’un système d’identification ami/ennemi. Par ailleurs, dès 2001, le ministère taïwanais de la Défense a annoncé vouloir développer les versions C et D de l’appareil (seconde génération, dite Hsiung Ying), officiellement présentée au public en mars 2007 après que le développement eut subi quelques retards. Disposant de deux réservoirs conformes autorisant un emport supplémentaire de 771 kg de carburant – qui ne seront pas installés sur les appareils modernisés –, il est aussi doté d’un nouveau système de guerre électronique, de nouveaux ordinateurs, d’un IFF actif, d’une capacité de suivi de terrain et d’un train d’atterrissage renforcé. Il est également apte à emporter le missile antiradiation TC‑2A. Les modifications initialement planifiées en matière de matériaux, qui devaient permettre une réduction de sa surface équivalent radar, ont cependant dû être abandonnées. De même, la motorisation de l’appareil ne semble pas avoir été revue.

Caractéristiques du F-CK-1A

Constructeur : AIDC.

Équipage : 1.

Propulsion : 2 réacteurs TFE-1042-70 d’une poussée de 27 kN à sec et de 42 kN avec postcombustion.

Dimensions : longueur totale : 14,21 m ; hauteur : 4,42 m ; envergure : 9,46 m ; surface alaire : 24,2 m2.

Masse : à vide : 6,5 t ; normale au décollage : 9,072 t ; maximale au décollage (MTOW) : 12 t.

Performances : vitesse maximale : Mach 1,8 ; plafond opérationnel : 16 800 m ; distance franchissable (sans ravitaillement en vol) : 1 100 km.

Armement : 1 canon hexatube M-61A1 de 20 mm ; 7 points d’emport pour une combinaison de missiles air-air Tien Chien 1 (courte portée) ou 2 (moyenne portée), de missiles de croisière Wan Chien, antinavires Hsiung Feng II et air-surface AGM-65 Maverick, de pods lance-roquettes et de bombes classiques et à sous-munitions.

Le système d’alerte avancée

En matière de détection aérienne, le pays bénéficie également d’un allié inattendu : sa géographie. Ses montagnes dominent ainsi la Chine continentale, de sorte que nombre de stations radars y ont été positionnées et reliées à plusieurs Control and reporting centers (CRC) dans le cadre du système Tianwang. Opérationnel depuis 1979, il s’appuyait sur la modernisation de plusieurs radars. Deux autres générations de systèmes C2 (commandement et contrôle) ont suivi : le Chiangwang et, plus récemment, le Huanwang. Ce dernier met en réseau les radars, mais aussi les systèmes de défense aérienne, des bâtiments de la marine et bien entendu les E‑2T. Il génère une conscience situationnelle commune et à son tour partagée à tous les effecteurs. Le pays est divisé en trois secteurs ayant chacun son centre opérationnel : nord (PC : Taïpei), sud (PC : Kaohsiung) et est (PC : Hualian). L’ensemble est subordonné au centre aérien interarmées, également enterré, de Gongguan, une banlieue de Taïpei.

Le réseau radar est installé sur les points hauts de même qu’à Kinmen et à Matsu et comprend 11 stations fixes. Elles sont dotées de radars FPS‑117 de plus de 300 km de portée (altitude maximale d’environ 30 km) opérant en bande L et de HADR (Hughes air defense radar) en bande S de 450 km de portée achetés au début des années 1990. Des radars mobiles TPS‑75 et TPS‑77 sont également en service. Il faut y ajouter les six Hawkeye.

Le joyau de la couronne est l’unique radar SRP (Surveillance radar program) installé à 2 600 m d’altitude, sur la base de Leshan, au sud-ouest de Taïpei. C’est la clé de voûte du système antibalistique, avec un système dérivé du Pave PAWS américain et capable de détecter un tir balistique à plus de 3 000 km de distance. Il peut également détecter des missiles de croisière ou des hélicoptères à 200 km et est colocalisé avec le système d’alerte antimissile. Reste que, comme les stations radars fixes, il est vulnérable à des frappes balistiques, hypersoniques ou non.

Légende de la photo en première page : Interception d’un H-6 par un F-16. L’entrée en service de l’AIM-120 change la donne, en permettant de traiter les missiles de croisière chinois à de plus grandes distances. (© Taiwan Presidential Office)

Article paru dans la revue DSI hors-série n°95, « Défendre Taïwan : quelles options face à la Chine ? », Avril-Mai 2024.
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