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L’Indo-Pacifique : noyau des échanges commerciaux

Hébergeant près des trois quarts de la population mondiale, la zone indo-pacifique est aujourd’hui au cœur de l’économie mondiale et des échanges commerciaux. Que représente concrètement cette région par rapport au commerce international  ?

É. Mottet  : En économie, on parle surtout d’« Asie-Pacifique », le terme « Indo-Pacifique » étant davantage géopolitique, sécuritaire et n’étant pas complètement adapté à l’économie.

Néanmoins, c’est dans cette zone de l’Asie-Pacifique que l’on trouve le plus grand nombre d’accords commerciaux au monde — avec pas loin de 300 accords — ainsi que les plus grands accords. Il y a d’abord l’accord de partenariat transpacifique (TPP) porté par l’administration Obama, repris par le Canada et le Japon et devenu le partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Ensuite, il y a le partenariat économique régional global (RCEP), l’accord multilatéral le plus important au monde centré autour de la Chine. Puis enfin, il y a le petit nouveau, l’Indo-Pacific economic framework (IPEF) porté par l’administration Biden, mais qui n’est pas un accord multilatéral à proprement parler.

C’est une locomotive dynamique en Indo-Pacifique à laquelle plusieurs pays européens veulent se rattacher pour soutenir leur développement économique.

Le 4 février 2016, le TPP — devenu depuis le PTPGP — était signé lors d’une cérémonie en Nouvelle-Zélande, par les 12 pays partenaires, fixant les règles du commerce et de l’investissement dans la plus vaste zone de libre-échange au monde. Comment est né ce projet  ? Comment expliquer son histoire tumultueuse et où en est le TPP aujourd’hui  ?

Le TPP date du pivot asiatique de Barack Obama lors de son premier mandat. L’objectif pour les États-Unis était d’avoir un relais de croissance économique en s’appuyant sur un certain nombre de pays d’Asie. Dès lors, l’accord intégrait un volet sécuritaire, mais également économique. Toutefois, les responsables envoyés en Asie, chargés de défendre le TPP et le pivot asiatique américain de manière générale, n’ont pas été efficients. Hillary Clinton, la première envoyée, a commis quelques impairs en faisant allusion à la mise en place d’une OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) de l’Asie, ce qui a été très mal perçu. Par la suite, cet épisode a affecté la dimension commerciale du pivot américain, un certain nombre de pays asiatiques ne voulant pas y participer.

Par la suite, non seulement l’administration Obama n’a pas complètement réussi à imposer son projet mais, dès l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, le partenariat a été déchiré. Néanmoins, d’autres pays comme le Canada et le Japon ont maintenu ce projet en se disant que les États-Unis les rejoindraient une fois les démocrates revenus au pouvoir. Or, ce n’est pas ce qui s’est passé, le projet lui-même ayant créé des oppositions au sein des démocrates. L’apparition de l’IPEF confirme a priori que les États-Unis ne réintègreront pas le PTPGP, entrainant la déception des pays qui souhaitaient participer au PTPGP — l’IPEF n’étant pas un partenariat multilatéral, mais un partenariat bilatéral renforcé.

Malgré tout, le PTPGP fonctionne et compte une quinzaine de pays. D’autres pays de l’Asie du Sud-Est ne seraient pas contre l’idée de l’intégrer, notamment la Thaïlande et l’Indonésie. Taïwan a également fait part de son désir d’intégrer l’accord, ainsi que la Chine. Toutefois, Justin Trudeau a clairement affirmé que la Chine n’intègrera pas le PTPGP. Si cet accord permet de s’ouvrir au marché canadien en particulier, il ne rencontre pas un grand succès puisque la plupart des pays de cette région souhaitent avant tout s’ouvrir au marché américain.

Alors que la Chine n’a pas été invitée à participer au TPP, Pékin a participé en 2020 à la création du RCEP, en vigueur depuis 2022, et représentant à lui seul le tiers du PIB mondial. Quels sont les enjeux pour la Chine d’être au centre d’une alliance commerciale en Asie ? Quelle est sa spécificité ?

Le RCEP est le partenariat multilatéral le plus important au monde. Centré autour de la Chine, ce sont pourtant les pays de l’Asie du Sud-Est qui sont à l’origine de sa création — en particulier l’Indonésie — afin de lutter contre les inefficacités commerciales dues à l’effet dit « bol de nouilles », ce qui fait référence à la complexité de la mise en œuvre des nombreux accords commerciaux. À la racine du problème se trouve le contrôle de l’origine et de la nationalité des produits, condition sine qua non pour pouvoir bénéficier des avantages du libre-échange. À l’heure où la fabrication de nombreux produits est fragmentée dans une chaine globale de valeur et installée dans différents pays, l’origine nationale des produits devient difficile à déterminer. Plus encore, cela devient impossible quand l’empilement des accords de libre-échange multiplie les règles de définition de l’origine, au point que ces accords sont finalement peu utilisés. Pour y remédier, l’ASEAN a pris l’initiative de les fusionner dans le RCEP.

La participation du Japon, de la Corée, de la Chine, mais aussi de l’Inde, était souhaitée au sein de cet accord multilatéral, par volonté d’avoir des membres qui puissent faire office de contrepoids face à Pékin. Au départ, New Delhi était intéressée par ce projet. Puis, pour des questions de politiques intérieures et de balance commerciale très déficitaire avec la Chine, les Indiens ont finalement décidé de se retirer en 2019. Ils ne devraient pas revenir, tant que l’actuel Premier ministre, Narendra Modi, sera au pouvoir.

À propos de l'auteur

Éric Mottet

directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), codirecteur de l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique et professeur à l’Université catholique de Lille.

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