En novembre prochain doivent se tenir aux États-Unis des élections présidentielles, dans un contexte de polarisation extrême de la société. Comment se déroule la campagne jusqu’à présent ? Quels sont les principaux thèmes de campagne ?
Il y a deux aspects particuliers à cette élection. Premièrement, il est très rare de voir une reprise d’un affrontement déjà expérimenté quatre ans auparavant. La dernière fois remonte à 1956. Deuxièmement, les primaires n’ont pas été compétitives. Par conséquent, plusieurs mois avant les conventions des partis démocrate et républicain, nous savions déjà quels seraient les candidats. Cela crée une dynamique particulière qui personnalise cette campagne et fait que l’on est davantage dans un registre négatif vis-à-vis de Biden ou de Trump.
Le thème récurrent à chaque élection et qui unit les deux campagnes est la fameuse question que l’on pose toujours : « Est-ce que les choses sont mieux maintenant qu’il y a quatre ans ? » Du côté des républicains, on affirme que les choses allaient mieux il y a quatre ans, lorsque Trump était au pouvoir : l’économie était prospère, il n’y avait pas de guerre en Ukraine, ni au Moyen-Orient, pas de problèmes à la frontière sud et pas d’inflation. Du côté des démocrates, on rappelle qu’il y a quatre ans, c’était la crise du coronavirus, mal gérée selon eux, et que les États-Unis avaient une image ternie à travers le monde. Il semble que, jusqu’à présent, ce qui prédomine dans la campagne américaine est la capacité à entretenir une certaine nostalgie parmi l’électorat. Certains électeurs, y compris des progressistes qui ne voteraient jamais pour Trump, peuvent parfois se surprendre à dire qu’il y avait plus de stabilité à cette période, moins d’inflation, et des affaires internationales moins agitées. Bien sûr, cela comporte un biais cognitif, car cela ne met pas en avant les aspects négatifs comme la gestion du coronavirus sous Trump. Néanmoins, cette nostalgie semble favoriser la campagne de Trump en misant sur la question : « Êtes-vous dans une meilleure situation qu’il y a quatre ans ? »
Pourtant, le bilan économique de Joe Biden n’est pas si mauvais, mais il a du mal à le vendre ou à le défendre. Quels sont les indicateurs que l’on utilise pour dire que les choses vont bien ? Traditionnellement, l’indicateur numéro un est évidemment la situation de l’emploi aux États-Unis. Avec un taux de chômage historiquement bas, si on devait s’en tenir à cet indicateur, Biden devrait se diriger vers une réélection triomphale. Le problème réside dans les séquelles laissées par l’inflation. Bien que celle-ci ait été partiellement résorbée, le taux d’inflation annuel est revenu à des dimensions plus courantes, mais les Américains ressentent encore son impact dans leurs achats quotidiens. L’accès à la propriété est également un problème majeur, notamment avec les taux d’intérêt considérablement augmentés par la banque centrale des États-Unis. Tout cela fait que, malgré une économie américaine globalement performante et une excellente situation de l’emploi, les Américains de la classe moyenne et des classes plus défavorisées n’ont pas l’impression de vivre des jours de splendeur.
Comment expliquer que l’on se retrouve à nouveau en 2024 avec un duel opposant Joe Biden à Donald Trump ? Est-ce que cela peut s’expliquer par un trop faible renouvellement de la classe politique américaine ? Car 2028 arrivera vite…
Il n’existe pas de problème de renouvellement de la classe politique, car il y a en réalité, dans les deux partis, beaucoup de jeunes qui ont de grandes ambitions.
Du côté des républicains, on commence à les voir, notamment ceux qui se préparent pour être les colistiers de Trump en 2024. Le choix du vice-président est crucial, car cette personne sera bien placée pour devenir la figure de proue du parti en 2028, à moins que la situation ne se termine comme avec Mike Pence (1). Le problème n’est pas tant le renouvellement de la classe politique en lui-même, mais plutôt l’influence dominante de Donald Trump. Ce dernier a amené avec lui un nouvel électorat qui sert de base au parti républicain et qui lui est extrêmement fidèle. C’est un électorat, et on l’a vu dans les élections de mi-mandat entre autres, qui ne serait pas forcément allé voter si ce n’était pas son nom qui était marqué sur les bulletins de vote. En sachant que le parti républicain a perdu une bonne partie de sa base traditionnelle, il doit s’adapter à cette base qui soutient fermement Trump.
Historiquement, jusqu’aux années 1950, il faut garder en tête qu’il était assez courant de voir un candidat présidentiel perdre une élection et revenir à la tête du parti à l’élection suivante. On a vu cela avec Adlai Stevenson et Thomas Dewey dans les années 1940. De nos jours, un candidat qui perd une élection est généralement rejeté. Voir Trump revenir comme candidat et dominer les primaires est remarquable. Il y a eu des tentatives de s’opposer à lui, comme celles de Ron DeSantis et de Nikki Haley, mais la popularité de Trump auprès de sa base électorale est trop forte pour être battue. Cela devient presque inutile de s’opposer à lui et ceux qui ont tenté de le faire ont eu du mal à se distinguer de Trump tout en cultivant son soutien parmi la base républicaine. Tant que Trump est dans le décor, il occupe l’espace pour être le candidat des républicains.
Du côté des démocrates, la situation est différente. Il y a des dynamiques très structurelles et une génération de démocrates plus âgés qui s’accrochent à leurs postes, comme on l’a vu au Congrès. Même si Nancy Pelosi a fini par renoncer à son rôle de leader des démocrates, cela a pris du temps. Ce sont des octogénaires qui ne font pas beaucoup de place aux jeunes. Joe Biden a obtenu la nomination en 2020 en promouvant d’être un candidat de transition, qui n’allait déplaire à personne, sans faire nécessairement plaisir à qui que ce soit. Au fond, il y avait l’espoir qu’il ne ferait qu’un seul mandat. Cependant, lorsqu’il a décidé de briguer un second mandat, même s’il est âgé et que sa popularité n’est pas si élevée que ça au sein de l’électorat démocrate, il a obtenu le soutien de l’establishment démocrate, qui a dissuadé d’autres candidats de se présenter. Cela s’explique par le fait qu’il y a une chose qui ne change pas dans l’histoire américaine : un président en exercice qui décide de briguer un second mandat, dans l’histoire contemporaine des États-Unis, va généralement l’obtenir.