Quels acteurs ou événements pourraient exercer une influence sur le résultat ou la motivation des électeurs à aller voter en novembre prochain ? Quid notamment du cas de la vague de manifestations pro-Palestine ?
Ce mouvement de solidarité propalestinien, que l’on a observé lors des primaires, où même des militants démocrates ont voté blanc (3), pourrait jouer un rôle dans les élections de novembre. La colère des jeunes sur les campus risque également d’avoir un impact. Cette situation a été très mal gérée, car elle aligne non seulement les jeunes contre l’administration Biden, mais aussi de plus en plus d’électeurs afro-américains qui sont souvent historiquement proches de la cause palestinienne. Toute l’évolution du conflit à Gaza pourrait peser lourd. Contrairement aux opérations israéliennes passées, cette crise perdure, et cela fait sept mois que l’administration Biden est sous pression. Elle n’a pas réussi à condamner fermement l’intervention du gouvernement de Benyamin Netanyahou et continue de fournir des armes, même si elle fait semblant de condamner ces actions en bloquant parfois des envois. Les Américains ne sont pas dupes, et ceux qui sont convaincus qu’il s’agit d’un génocide pourraient ne pas vouloir soutenir celui que certains appellent maintenant « Genocide Joe ». Même si Trump serait pire, il y a un enjeu moral qui pousse certains à ne pas voter pour Biden. Cela pourrait être un enjeu déterminant, surtout lors des conventions. Beaucoup se demandent s’il y aura une reprise des événements de Chicago en 1968, notamment avec les manifestations contre la guerre du Vietnam. La convention démocrate qui se déroule justement à nouveau à Chicago pourrait bien connaitre des oppositions similaires. Si des images de jeunes manifestants se faisant frapper par des policiers émergent, cela pourrait être un désastre de relations publiques pour le parti démocrate et torpiller ses chances de rester à la Maison-Blanche. Ces événements sont particulièrement dangereux pour les démocrates. Pour les républicains, qui ont une ligne encore plus pro-Israël que les démocrates, tout ce qu’ils ont à faire est de dire que les démocrates n’en font pas assez.
Quid de la question de l’avortement qui était sur le devant de la scène avant la guerre entre Israël et le Hamas ?
Cette question de l’avortement, qui a récemment été un sujet de discussion intense, pourrait également mobiliser les électeurs pour ne pas voter démocrate. Les démocrates ont constamment surperformé dans les jugements liés à la décision Dobbs en 2022. Il serait erroné de dire que ce ne sera pas un facteur dans cette élection. Lorsque certains États vont de l’avant avec des mesures visant à criminaliser l’avortement, cela pourrait mobiliser les électeurs. Plus l’enjeu est présent, plus les démocrates peuvent espérer des résultats favorables. Cela pourrait être un facteur si d’autres décisions sont rendues, mais l’impact sera probablement très local. Cela dépendra du nombre d’États se prononçant sur cette question, mais cela pourrait aussi motiver le vote de personnes jusque-là pas convaincues par le reste de la campagne.
Donald Trump a refusé de s’engager explicitement à reconnaitre le résultat du vote contre Joe Biden en novembre prochain, ajoutant qu’il « faudra se battre pour le bien du pays » si tout n’est pas conduit de manière honnête. La situation peut-elle réellement dégénérer au lendemain des élections ?
Le pire n’est jamais certain mais toujours possible. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un niveau de préparation du gouvernement fédéral américain supérieur à ceux de 2016 et 2020. Les forces de l’ordre seront en principe prêtes à faire face à d’éventuels débordements. De plus, des lois ont été modifiées, notamment la fameuse loi sur la certification des votes au collège électoral, pour empêcher une interprétation similaire à celle qui a été tentée en 2020-2021 afin de bloquer le transfert du pouvoir. Le fait que Trump ne soit plus au pouvoir, mais que ce soit Biden qui le soit, fait que Trump a moins de leviers pour potentiellement interférer dans le résultat de l’élection.
C’est un contexte explosif alimenté par les discours assez incendiaires du candidat Trump, qui joue sur la paranoïa de certains groupes d’électeurs plus extrémistes, souvent armés, faisant partie de milices ou de groupes plus radicaux. Ainsi, des débordements sont toujours possibles. Cependant, on peut au moins garder espoir en se disant que, premièrement, nous avons affaire à un système constitutionnel bien établi dans le temps et, deuxièmement, à un système électoral assez bien rodé. Les élections de 2021 ont été remarquablement bien conduites malgré le contexte pandémique. De plus, le gouvernement a probablement tiré des leçons de ses erreurs en 2016 et 2020, ce qui pourrait potentiellement limiter les dégâts. Cependant, il est certain que nous devrons rester vigilants et que l’inquiétude sera présente chez de nombreux citoyens quant aux résultats de cette élection.
Propos recueillis par Thomas Delage le 16 mai 2024.
Notes
(1) Ancien vice-président du mandat Trump et candidat comme colistier pour le deuxième mandat de ce dernier, Pence, alors président du Sénat, avait refusé de rejeter les résultats de l’élection 2020. Il a tenté de s’opposer à Trump lors des primaires 2024 mais, disposant de très peu d’intentions de vote, il a retiré sa candidature avant le début des primaires.
(2) Courrier international, « États-Unis. Trump : “Si je tirais sur quelqu’un en pleine 5e Avenue, je ne perdrais aucun électeur” », 24 janvier 2024 (https://digital.areion24.news/kmr).
(3) Alexis Buisson, « Primaires américaines : le mouvement pour le vote “Uncommitted”, épine dans le pied de Joe Biden », La Croix, 13 mars 2024 (https://digital.areion24.news/2u4).
Légende de la photo en première page : Ces dernières années, le bipartisme américain connait une crise inédite, avec un système dont la popularité s’effrite auprès de l’électorat. Alors que 56 % des électeurs s’estimaient « satisfaits » d’avoir le choix entre deux candidats issus des grands partis — démocrate et républicain — en 2003, l’institut Gallup révélait lors de son dernier sondage en septembre 2023 que seulement 34 % de l’électorat est désormais satisfait de ce système. En parallèle, le Pew Research Center révèle que 49 % des électeurs remplaceraient Biden et Trump sur le bulletin de vote s’ils pouvaient désigner les candidats. (© Shutterstock)














