Ces préoccupations ont toutefois été amplifiées lorsqu’il s’est agi de Trump. Rosa Balfour, directrice du groupe de réflexion Carnegie Europe, affirme que, s’il est élu, Trump tentera de détruire la démocratie plutôt que de la protéger et que « si Trump et Poutine s’entendent sur la paix, ils négocieront sans consulter les partenaires ukrainiens et européens » (15), ce qui laisserait présager une perte importante de territoire pour une Ukraine vulnérable et affaiblirait encore davantage les fondements de l’architecture de sécurité de l’Europe. Mark Leonard, directeur du Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), pose un diagnostic similaire. En parlant de Trump, Leonard note qu’« il a forcé les Européens à repenser enfin les hypothèses de base qui les paralysaient en ce qui concerne la guerre en Ukraine, la défense de l’Europe et l’unité politique européenne » (16). Parmi les personnes susceptibles de jouer un rôle de premier plan dans une administration Trump, on trouve l’ancien ambassadeur « pugnace » Richard Grenell, à l’époque basé en Allemagne, et Elbridge Colby, qui a écrit sur X le 17 avril dernier : « Si nous immobilisons ou dépensons des forces en Europe, elles ne seront pas disponibles pour la première chaine d’iles, ce qui invitera la Chine à lancer un assaut. C’est juste la réalité » — ce qui suggère une négligence de la défense européenne (17).
Néanmoins, tout en envisageant les effets potentiellement catastrophiques d’une présidence Trump, l’Union européenne et ses États membres ont été remarquablement lents à mettre en place une réponse efficace qui génèrerait une plus grande capacité d’autonomie stratégique lorsqu’il s’agit de la défense du continent ou de l’Ukraine. Ils ont collectivement fourni plus d’aide à l’Ukraine que l’administration Biden (18). Mais leur contribution en termes d’assistance militaire a été bien moindre, et les efforts visant à créer une capacité de production de défense basée en Europe et une capacité de force militaire conjointe ont été prévus sur des calendriers qui ne deviennent réellement effectifs qu’après 2030. Une victoire de Trump créerait donc un vide capacitaire où les Européens ne pourraient pas soutenir l’Ukraine seuls. Cela offrirait à la Russie une fenêtre d’action que Poutine devrait trouver irrésistible si l’on en croit ses antécédents.
L’Amérique est donc confrontée à un choix radical en termes de politique étrangère en novembre, avec deux points de vue différents sur la manière et l’ampleur de son engagement dans le monde. En fonction du résultat, les Européens devront faire face à des conséquences très différentes.
Notes
(1) Hal Brands, What Good Is Grand Strategy ? Power and Purpose in American Statecraft from Harry S. Truman to George W. Bush, Ithaca (NY), Cornell University Press, 2015.
(2) John Lewis Gaddis, Strategies of Containment : A Critical Appraisal of American National Security Policy during the Cold War, Oxford University Press, 2005.
(3) https://digital.areion24.news/l2f
(4) Peter Dombrowski and Simon Reich, « Does Donald Trump have a Grand Strategy ? », International Affairs, 93, issue 5, septembre 2017, p. 1013-1037 (https://digital.areion24.news/dbl) ; Peter Dombrowski and Simon Reich, « Beyond the Tweets : Continuity and Change in President Trump’s Approach to Military Operations », Strategic Studies Quarterly, 12, issue 2, juin 2018, p. 56-81, (https://digital.areion24.news/f5c).
(5) https://digital.areion24.news/aag
(6) https://digital.areion24.news/sjb
(7) https://digital.areion24.news/69z
(8) Eric Nordlinger, « Isolationism Reconfigured : American Foreign Policy for a New Century », Brown Journal of World Affairs, vol. 2, no 2, été 1995, p. 279-284 (http://www.jstor.org/stable/24590107).
(9) Christopher Miller cité dans « Mandate for Leadership », op. cit., p. 88.
(10) Erin Banco et John Sakellariadis, « The prospect of a second Trump presidency has the intelligence community on edge », Politico, 26 février 2024 (https://digital.areion24.news/8bo).
(11) Alexander Ward and Daniel Lippman, « Inside the fight for top Trump national security roles », 22 avril 2024 (https://digital.areion24.news/ms6).
(12) Stephen G. Brooks, H. John Ikenberry and William C. Wohlforth, « Don’t Come Home America : The Case against Retrenchment », International Security 37, no 3 (hiver 2012/13), p. 7 – 51.
(13) https://digital.areion24.news/p6a
(14) https://digital.areion24.news/0h9
(15) https://digital.areion24.news/cvv
(16) Mark Leonard, « The Trump Effect Takes Europe », 20 février 2024, Project Syndicate (https://digital.areion24.news/uto).
(17) Ward and Lippman, op. cit.
(18) https://digital.areion24.news/l82
Légende de la photo en première page :Alors que les « Swing States » devraient à nouveau jouer un rôle crucial lors des élections présidentielles américaines de 2024, un sondage mené par le New York Times révélait le 13 mai 2024 que Donald Trump était le mieux placé pour remporter cinq des six États-pivots que sont le Wisconsin, la Pennsylvanie, l’Arizona, le Michigan, la Géorgie et le Nevada, dont le nombre de grands électeurs pourrait faire pencher la balance. Si Joe Biden est donné perdant partout sauf dans le Wisconsin, Donald Trump, s’il conserve les États dans lesquels il était en tête en 2020, n’aurait en théorie besoin que de remporter trois « Swing States ». (© Shutterstock)