Des Européens impuissants ?
À l’heure actuelle, les Européens ne disposent pas des ressources nécessaires pour mener, sans les Américains, une guerre de haute intensité face à un pays tel que la Russie, que ce soit individuellement ou collectivement. Ceci peut sembler paradoxal quand on sait que les budgets de défense cumulés des États membres sont trois fois supérieurs à celui de la Russie (et ce malgré l’augmentation de 24 % de son budget de défense en 2023 par rapport à 2022). En outre, les pays de l’UE alignent ensemble plus de militaires que la Russie (1,2 million de soldats d’active contre 1,1 million pour la Russie) mais également plus d’avions de combat, plus de chars et bien plus de navires de guerre (5). En réalité, le gros souci des Européens est qu’ils manquent des instruments nécessaires — capacités de commandement et de contrôle ; moyens de renseignement, de surveillance et de reconnaissance ; capacités logistiques et munitions suffisantes — pour combattre de manière efficace et autonome.
Alors que la guerre russo-ukrainienne relance l’idée de l’autonomie stratégique européenne, elle accroit paradoxalement la dépendance stratégique envers les États-Unis. Les Européens investissent davantage dans leur défense (et sans que quelqu’un le leur demande, cette fois !), mais ils achètent aussi beaucoup de matériel américain (68 % de leurs acquisitions actuelles et/ou en cours) (6). En définitive, ils apparaissent encore plus dépendants des ÉtatsUnis qu’ils ne l’ont été lors de la guerre des Balkans. Or, dans un contexte de crises mondiales toujours plus nombreuses et à la veille de l’élection présidentielle américaine, les Européens doivent se prémunir contre une éventuelle fragilisation de l’engagement des ÉtatsUnis tant vis-à-vis de l’Ukraine que de ses alliés de l’OTAN. En réalité, le renforcement du pilier européen de l’Organisation est autant dans l’intérêt des États-Unis que dans celui des Européens.
Si les États membres ne se dotent pas rapidement des moyens nécessaires pour assurer la Défense de l’Europe, Washington pourrait envisager le Vieux Continent comme un fardeau insupportable voire, en cas de crise avec la Chine, remettre en question la relation transatlantique (7). Depuis le 24 février 2022, la défense du territoire européen passe par l’aide militaire à l’Ukraine. Or, en 2023, celle-ci ne représentait que 0,075 % du PIB européen alors que, « si tous les pays de l’OTAN dépensaient au moins 0,25 % de leur PIB, l’Ukraine l’emporterait », estime le député lituanien Andrius Kubilius (8). Josep Borrell déplore quant à lui qu’environ 40 % de la production européenne soient encore destinés à l’exportation vers une trentaine de pays autres que l’Ukraine. De son côté, l’institut Kiel prévient que si les États-Unis devaient mettre fin à leur aide à l’Ukraine, l’Europe devrait doubler son aide militaire actuelle pour combler le manque (9).
La défense collective : seul résultat crédible de l’Alliance atlantique ?
Avec l’effondrement de l’URSS, l’Alliance atlantique est sortie victorieuse de la guerre froide sans avoir dû mener aucune opération de combat. Si des raisons idéologiques, juridiques et pragmatiques ont largement contribué au maintien de la guerre froide en dessous du seuil d’une guerre générale, cette paix relative est également liée à l’existence des armes nucléaires. De très nombreux exercices de grande ampleur ont été organisés jusqu’à la chute du mur de Berlin. Ainsi, 125 000 soldats s’entrainaient encore en Allemagne de l’Ouest en 1988. En 2024, le plus grand exercice organisé par l’Organisation depuis la fin de la guerre froide a rassemblé quant à lui quelque 90 000 militaires.
D’une alliance de défense collective, l’OTAN évolue, dès le début des années 1990, vers une institution de sécurité coopérative destinée à protéger les droits humains et à assurer la paix. Les armées occidentales ont ainsi été amenées à conduire, sous l’égide otanienne, des opérations de gestion de crise dans les Balkans (années 1990) et en Libye (2011), mais surtout en Afghanistan (années 2000-2010) après que les pays membres de l’OTAN (fait remarquable : précisément en faveur des États-Unis) eurent invoqué l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord pour la toute première et unique fois de l’histoire de l’Organisation.
Le bilan politico-militaire des opérations otaniennes, en particulier en Libye et en Afghanistan, est loin d’avoir convaincu. Depuis le retrait chaotique d’Afghanistan, l’OTAN semble d’ailleurs avoir renoncé à son statut de « gendarme du monde » (10), qui la caractérisait dans les années 2000. Si la guerre en Ukraine a « réveillé » l’OTAN avec « le pire des électrochocs », l’Organisation reste en réalité peu active dans l’aide concrète à l’Ukraine, contrairement à l’Union européenne ou au groupe de contact sur la défense de l’Ukraine (UDCG), dit de Ramstein.